Madame Nicole LEMAITRE
Université Paris I Panthéon Sorbonne
Cours d'agregation d'histoire moderne:
Année académique 2002-2003

1. Penser la Renaissance. Le mot et l'histoire

I. Un concept pour se dire

II. Un concept de tout temps contextualisé

III. Rupture ou continuité ?

" Renaissance ", voilà un concept qui n'a rien d'évident et qu'il faut discuter car chaque génération le manie à sa façon, et nous aussi…

1. Penser la Renaissance. Le mot et l'histoire

Le mot a une histoire, comme tous les concepts qu'on emploie pour synthétiser une réalité complexe et changeante. Or il se trouve qu'il est employé par ceux là même qui ont fait la Renaissance, en Italie du moins où le mot Rinascità, rinascimento existe au 15e siècle et est systématisé pour l'art par G. Vasari. Il est relativement rare que les hommes d'une période aient conscience du changement qu'ils vivent au point de se considérer à l'aube d'un monde nouveau.
Le mot Renaissance est beaucoup moins employé en français. Il existe depuis la fin du XIVe siècle au moins (dit le TLF), mais pas au sens culturel où nous allons le prendre. Le mot possède d'abord un sens chrétien de régénération par le baptême ou la pénitence. On le voit utilisé au début du XVIe siècle pour parler d'un végétal ou de cheveux ; il prend peu à peu un sens littéraire et artistique au début du XVIIe siècle mais n'est pas lié à l'humanisme avant le XVIIIe siècle. Un homme comme Rabelais parle plutôt de " restituer " les belles lettres, Brantôme de les " Restaurer ". Au XVIIIe siècle, d'Alembert suivi de nombre de Révolutionnaires, parlera encore de "régénération ".
Il faut donc examiner la fortune de ce mot, les contextes qui le font évoluer et la façon dont on perçoit la rupture ou la continuité qu'il induit. Voilà un concept pour dire une réalité, mais qui a de tout temps été révisé, qui coupe aussi notre période du Moyen Age. Mais est-ce si vrai ?

I. Un concept pour se dire

La première occurrence littéraire en français se trouve dans le Miracle de Notre Dame (1363) et désigne la seconde naissance, un recommencement sur de nouvelles bases, le passage à une vie nouvelle. Il s'agit d'abord d'un sens chrétien, désignant le passage vers le salut après le baptême et qui provient très directement de l'Evangile selon saint Jean (3,3). Or Jean Calvin a justement commenté ce passage en assimilant à la regénération, la réformation, le renouvellement, la rénovation induite par la Réforme. Renaissance et Réforme seront donc liés pour les protestants, mais pas forcément pour les autres.
L'idée d'une renaissance des lettres et des arts de l'Antiquité émane d'une génération de jeunes latinistes italiens du XVe s. fascinés par le beau latin (celui de Ciceron) puis par le grec. Ils estiment faire renaître le vrai latin antique, les belles lettres comme on dit alors. Cf Eugenio Garin " La Renaissance ne prend une signification adequate au terme que sur le terrain de la culture : elle est avant tout un fait de culture, une conception de la vie et de la réalité qui imprégne les arts, les lettres, les sciences et les mœurs ". Nous verrons que cette interprétation doit largement aux historiens du XIXe siècle et qu'on peut la nuancer. Mais il n'en demeure pas moins que nous sommes en face d'une réalité historique, le sentiment qu'ont eu plusieurs jeunes intellectuels hardis que le monde quittait l'âge des barbares, bientôt dénommé le Moyen Age, un concept qui naît en même temps que celui de renaissance pour désigner un temps révolu (mais pas toujours méprisé, en particulier en Allemagne) de l'histoire. Nos jeunes loups de la culture nouvelle italienne : Petrarque, Poggio (Le Pogge), ont imposé leur activisme et surtout ils ont été donnés en exemple par les intellectuels des générations suivantes : Lorenzo Valla et Érasme dans les lettres, Vinci et Vasari dans les arts.
Ceci explique qu'on ne puisse donner une date et un acte de naissance à ce mouvement culturel. On a beaucoup utilisé le poète-érudit Pétrarque, ce qui nous reporte en Vaucluse vers 1330-1340. C'est à lui qu'on doit l'idée que l'oubli de l'Antiquité caractérise les " âges obscurs " et le mépris, italien surtout, pour " l'âge des barbares ".
Les historiens d'art italiens préfèrent commencer avec Giotto et Dante vers 1300. Mais on peut aussi parler de l'introduction d'Aristote et de ses conséquences avec Thomas d'Aquin, de la peinture de Cimabue et nous sommes en plein XIIIe siècle. Si la Renaissance est renaissance des lettres antiques, les anglais la placeront au XIIe siècle avec Jean de Salisbury, mais on peut aussi la reporter à la Renaissance carolingienne. Il y a des arguments pour et contre dans tous les cas, mais la Renaissance italienne peut encore être conçue comme la dernière des Renaissances médiévales, la manifestation réussie d'un effort constant. Une bonne partie des auteurs antiques (Horace, Virgile, Cicéron, Salluste n'a jamais cessé d'être lu au Moyen Age, et les grecs ont été redécouverts lors des contacts des croisades avec les byzantins et les arabes (Avicenne et Averroes). Dans les arts plastiques, le style roman doit tout à l'architecture romaine. Toute assignation d'une origine doit donc être soumise à démonstration. Ce que je ferai tout à l'heure.
La fin de la Renaissance pose tout autant question d'ailleurs : vers 1530 avec l'avènement du Maniérisme dans la suite de Michel Ange selon (Burckhardt ?) ou vers 1620 avec l'avènement du Baroque comme le fait Burke ? Là encore tout est question de lieu et de nuance. Vers 1530, les français n'ont pas encore construit l'essentiel de leur Renaissance, c'est donc un peu tôt pour nous. Vers 1620 l'essentiel des formes baroques est diffusé, c'est trop tard pour l'Italie.
Tout est donc question de rhétorique et de ce qu'on veut démontrer par la suite. Le terme de Renaissance est élastique, mais il avait et il garde un sens positif. Celui de la confrontation réussie entre le mouvement et l'immobile apparent, celui de l'ouverture, celui de progrès, de la modernisation. Dès l'origine, il s'agit d'un mythe bien sûr, mais les historiens savent bien que les mythes poussent les hommes à agir pour changer le monde et se changer eux-mêmes. Comment est-il né ce mythe dont héritent les responsables des programmes du Secondaire ?

II. Un concept de tout temps contextualisé

Nous suivrons essentiellement, avec quelques bémols et quelques perspectives récentes, l'analyse de Wallace K. Ferguson, La Renaissance dans la pensée historique (1946), Paris, 1950, avec la lumineuse préface du grand spécialiste de la littérature du 16e siècle que fut Verdun Leon Saulnier.
Les Italiens ont longtemps dominé l'interprétation de la Renaissance, mais les Allemands tenaient à exalter aussi le Moyen Age (à cause de l'Empire) et les Français reconnaissaient la suprématie italienne (dès N. de Clamanges et R. Gaguin) mais pas celle des grecs et des romains. Cf Ronsard : " pillons-les mais pour les surpasser ". Ils ont développé l'idée d'une translatio, d'une transmission du flambeau, de l'Egypte à la Grèce, à Rome, à l'Italie, à la France. Chemin faisant, ils ont fixé la séparation du Moyen Age et de la Renaissance sur d'autres bases que les Italiens.
Mais le mot prend un sens nouveau surtout au 18e siècle, avec d'Alembert, dans le Discours préliminaire de l'Encyclopédie. La Renaissance est l'âge de l'érudition qui accumule des matériaux d'où l'époque classique, âge littéraire par excellence, tire ses œuvres d'art et d'où le siècle philosophique, âge de la raison, vient extraire la moelle de la pensée. Il fixe, avec Voltaire, l'idée que la Renaissance est ouverture, mais au sens de balbutiement de la raison. Pour eux, il s'agit bien d'une Révolution mais comme prélude à leur siècle. Avant la Renaissance, il y a les ténèbres, après c'est la Lumière, la science, l'éloquence et la raison.
Les romantiques réhabilitent le Moyen Age, mais Michelet (1855) puis Burckhardt (1860)réinterprétent le mythe, pour parler de ce temps qui rompt volontairement avec le Moyen Age, " époque d'esprit collectif, de religion et d'autorité ". La Renaissance italienne d'abord puis européenne a posé la conscience dans l'individualisme et la liberté, ouvert le monde et l'homme aux dépens de la religion.
Il s'agit donc d'une nouvelle civilisation ; Michelet n'a pas créé le mot Renaissance mais l'a transformé en notion historique. Pour lui, tout vient de la descente française en Italie, qui provoque le transfert du flambeau italien à l'ensemble de l'Europe par la France. Or l'allemand Burckhardt manifeste lui aussi à la fois une réaction religieuse et nationaliste. Pour lui, la Renaissance italienne aboutit à l'oppression du génie allemand et à la fabrication d'œuvres artificielles. Le nationalisme joue donc un rôle important dans le devenir du mythe. Et celui-ci note que la chronique de Nuremberg (1493, par le médecin Hartman Schedel) parle d'une translatio imperii ad Teutonicos par l'Empire. Les Germains sont aussi le peuple aborigène de l'Europe, le plus pur, le plus près de l'origine donc. On comprend dès lors la liaison précoce établie avec la Réforme par les contemporains eux-mêmes, dès Melanchthon, Déclamation sur l'éducation des adolescents, 1518, qui attaque les barbares et veut affranchir les belles lettres de la corruption. D'autres réformateurs, comme Calvin, insisteront sur la désolation de l'Eglise du Christ depuis la fin de l'Empire et son disciple, Simon Goulart, affirmera que l'éveil des études précède celui de la religion.
Comme Michelet par contre, Burckhardt insiste sur l'individualisme et modernité de la Renaissance qui caractérisent le monde moderne. L'idée sera reprise par Gobineau en France, Dilthey puis Cassirer (Individu et cosmos, 1927). Au 19e siècle, la Renaissance suppose une Kulturgeschichte une histoire culturelle ou plutôt de la civilisation et non plus seulement l'idée de Renaissance des arts et des lettres.
En face, les catholiques défendent le Moyen Age, aussi bien l'allemand Henri Thode, spécialiste de François d'Assise (1885) que les thomistes français Etienne Gilson et Jacques Maritain au XXe siècle. L'opposition entre Moyen Age et Renaissance semble intenable à mesure que les travaux historiques se multiplient.

III. Rupture ou continuité ?

L'idée que la Renaissance met fin au Moyen Age vient des contemporains mais la conscience qu'elle est déterminante pour le développement et le progrès de la civilisation occidentale vient de Burckhardt. Pourtant dans quelle mesure peut-on dire que la Renaissance a inventé l'ensemble du monde moderne ? A l'âge du respect religieux, aurait succédé selon la leçon des modèles antiques le libre épanouissement des puissances humaines mais les historiens savent aujourd'hui que les humanistes ont conservé la foi et que le Moyen Age croyait aussi en l'homme.
On retiendra cependant l'invitation à l'effort humain, la confiance en soi, l'esprit critique, un certain équilibre entre l'autorité et le droit d'examen, le retour aux sources. Pour Michelet en effet la Renaissance est celle de l'âme et du cœur, non pas celle de l'art commente L. Febvre.- L'interprétration par la rupture a gagné la partie dès la fin du XVe siècle.
Les historiens des communes, tel Leonardo Bruni (†1444) à Florence voient les communes comme le retour à la République romaine, contre l'Empire : " la liberté prit fin lors de l'apparition du titre impérial et, suivant la liberté, la vertu disparut ". Dans ce contexte, Charlemagne est considéré comme un usurpateur et non un continuateur.
Cf même approche par Flavio Biondo de Forli (†1463) et son histoire de la décadence de l'Empire romain ou par Machiavel dans son Histoire florentine (1525) : le réveil de l'Italie a commencé avec celui des Communes. Ces intellectuels créent pour 200 ans de nouveaux horizons à la pensée historique : entre l'Antiquité et leur temps, la littérature et les arts ont disparu, mais ils se sont désormais réveillés. Cette conscience entre donc très tôt dans l'histoire.
Cf Marsile Ficin : " C'est indubitablement un âge d'or que a ramené à la lumière les arts libéraux auparavant presque détruits : grammaire, éloquence, peinture, architecture, sculpture, musique, et le tout à Florence ".
Cf Lorenzo Valla dans les Elegantiae : les lettres et les arts " ressurgissent en ces jours et revivent "
Mais la cristallisation du concept sur la rupture est surtout l'œuvre de Giorgio Vasari d'Arezzo, formé à Florence et architecte des papes et des Médicis, l'ami de Michel Ange. Sa Vie des peintres (1550) a eu une immense influence (pendant un siècle et demi, toutes les histoires de l'art sont basées sur lui, y compris aux Pays Bas et en Allemagne), bien qu'il ne s'agisse que des peintres italiens et surtout toscans. Car il sait raconter une histoire et son jugement est d'une grande acuité critique. Car il dispose aussi son livre en une croissance progressive et organique.
Les Lumières, avec Voltaire (Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, 1756, même s'il ne commence qu'avec François Ier), l'Anglais Ed. Gibbon (Décadence et chute de l'Empire romain, 1776-1786), l'Italien Muratori (Annales d'Italie, 1744-1749), ne feront qu'enfoncer un peu plus l'évidence de rupture irrémédiable.- Michelet (Histoire de France au 16e s), comme Hegel, joue de l'antithèse entre Moyen Age et Renaissance. On cite souvent l'introduction à la suite de Ferguson " L'art et la raison réconciliés, voilà la Renaissance, le mariage du beau et du vrai ". Je propose plutôt une citation du chapitre 17 :
Le MA se survivant par un effort artificiel, n'enfantant plus, empêchant d'enfanter, il s'est fait un grand désert d'hommes.
Trois fils de serfs, ouvriers héroïques, taillent les trois pierres où se fonde la nouvelle Église : Colomb, Copernic et Luther. L'Italien trouve le monde et le polonais en trouve le mouvement, l'harmonie, l'infini du ciel. L'allemand reconstitue la famille et y met le sacerdoce. Cest fonder le monde de l'homme.
… Va, [Renaissance] marche, sois confiante sans t'effrayer. Qu'un seul mot te rassure : un monde d'humanité commence, de sympathie universelle. L'homme est enfin le frère du monde. Ce qu'on a dit d'un précurseur de l'art : " il y mit la bonté ", on le dira du temps nouveau " il mit en nous plus de bonté ". C'est là le vrai sens de la Renaissance : tendresse, bonté pour la nature ". Les quêtes du Michelet romantique et industriel sont évidentes, mais dans quelle mesure ne projette-t-il pas ses rèves de liberté et de progrès ? C'est tout l'objet de ce cours que de repositionner l'histoire face au myhe.
Dans le style romantique qui le caractérise et qui animait encore son commentateur, L. Febvre, écoutons Michelet poser des évidences que nous allons détruire :
Dès ce jour [entrée de Charles VIII à Rome], deux grands courants électriques commencent dans le monde : Renaissance et Réformation. L'un par Rabelais, Voltaire, par la révolution du droit, la révolution politique, va s'éloignant du christianisme. L'autre par Luther et Calvin, les puritains, les méthodistes, s'efforce de s'en rapprocher. Mouvements mêlés en apparence, le plus souvent contraires. Le jeu de leur action, leurs alliances et leurs disputes sont l'intime mystère de l'histoire dont leur lutte commune contre le Moyen Age occupe le premier plan (HF, IX, p . 179-180. Cité par L. Febvre, p. 178).
C'est magnifiquement écrit mais vrai qu'en surface. Febvre commente : " Michelet a composé le drame en trois actes : Renaissance, Reforme, Contre Reforme ". Ce beau théâtre nous le partageons encore, en dépit de son schématisme anhistorique, mais il malmène quelque peu la réalité issue de la documentation . Selon son mot favori, Febvre assurait que le problème était mal posé. On réduisait ainsi la R. à l'individualisme et au progrès moderne, ce qui est discutable et surtout on la posait contre la nuit du Moyen Age, sa routine et sa stagnation supposées " pas une invention, pas un bain " disait Michelet, ce qui est faux .

Quelques voix isolées d'historiens-érudits montraient pourtant dès le XIXe siècle que les origines de la Renaissance plongent dans le Moyen Age : E. Renan, en travaillant sur J. de Flore et F. d'Assise ou l'historien d'art du cercle de Wagner, Henry Thode, qui montrent l'un et l'autre que la Renaissance est une transformation de la vie religieuse due à st François, là où Burckhardt ne voyait qu'une Renaissance païenne, ou encore Henry Chamard, qui montre les origines médiévales de la poésie française de la Renaissance.- Il faut attendre le XXe siècle pour que la continuité entre Moyen Age et Renaissance soit affirmée
On le doit à Johan Huizinga le grand médéviste de Delft (†1945), qui dès 1919 remet en cause dans L'automne du Moyen Age (mal traduit en déclin) la séparation du Moyen Age et de la Renaissance. Il affirme que plus qu'une naissance, la période la Renaissance est la mort d'un monde : la dépression économique et démographique, des découvertes scientifiques pas si nombreuses que cela par rapport à d'autres moments. Il sera suivi par les médiévistes, mais aussi par des spécialistes de la R comme P. O. Kristeller et Hans Baron. La R. est alors une transition, bien plus qu'une rupture, qui privilégie trois aspects antérieurs : le modèle antique, la discontinuité de l'histoire, la dignité de l'homme comme valeur.- Face au protestantisme libéral qui établissait l'immédiateté entre Renaissance et Réforme, le grand théologien E. Troeltsch (Renaissance et Réforme, 1913) insiste sur le caractère essentiellement religieux de la Réforme et Huizinga montre combien humanisme et réforme ont suivi en France un chemin commun très superficiel, le catholique Imbart de la Tour proclame à son tour dans Les origines de la Réforme (1905-1935) la parenté du catholicisme et de l'humanisme.
Il dissocie ainsi la liaison accomplie depuis Calvin entre R et Réforme. Il estime, preuves à l'appui, que la résurrection de l'Antiquité amène aussi la restauration de la pensée religieuse constantinienne et qu'il existe bien un humanisme chrétien de type catholique.
Michelet exaltait la Renaissance comme un temps de joie et de confiance " Un coup de lumière, un rayon subit de soleil a doré ce monde pâle, quand l'épée de la France ouvrit les monts, révéla l'Italie " (Febvre, 243). Nous verrons pourtant que la Renaissance a bien des faces sombres.
Nous allons sans cesse reprendre des remises en cause de ce type : la réalité de l'ouverture de l'espace, le lien avec le progrès scientifique ou médiatique, l'individualisme, l'optimisme… Non seulement pour relativiser mais aussi pour ne pas tomber dans le même piège, auquel il n'est pas sûr que les programmes du secondaire ne succombent pas. Mais il faut bien enraciner nos contemporains dans un passé qui les aide à vivre au XXIe siècle. Ce n'est jamais en faisant table rase que l'on peut les aider (on sait ce qu'induit un peu partout la table rase des " cultures dites dégénérées " depuis un siècle) Longtemps donc les interprétations de la R ont été plus ou moins conditionnées par des jugements de valeur et surtout elles ont été mises au service des idéologies contemporaines, en un mouvement qui est déjà celui du XVe siècle. La question n'est pas de savoir si notre connaissance historique est aujourd'hui plus vraie que les précédentes, même si la quantité de documents mise à la disposition des historiens permet de le dire en partie. L'essentiel n'est pas là mais dans la recherche d'un équilibre entre notre lecture des sources originales et les questions d'aujourd'hui.
En fait, à l'issue du processus enclanché dans notre langue par Michelet en 1840, le vocable de R est devenu une abstraction à force de s'élargir. Chronologiquement, il correspond avec le début des temps modernes, early modern history ; mais nous savons qu'il n'y a pas de coupure avec la période qui a précédé, comme les américains l'ont senti depuis longtemps. Ce découpage est artificiel, comme tous les découpages. Il ne vaut que par sa commodité pour aider à la synthèse d'éléments complexes.
Pour éviter le piège de l'anachronisme et de l'instrumentalisation d'une période, les interprétations successives ne seront donc jamais isolées de leur contexte culturel d'apparition, voire de propagande, car aucun historien n'échappe à l'épistémologie du moment, même et surtout s'il croit en son objectivité. Pas plus Machiavel et Vasari, pas plus L. Febvre que vous et moi. Soyons donc prudents et nuancés et regardons les vivre avec la sympathie requise pour ceux qui défendent la vie.
" Recréons avec Jules Michelet l'Histoire, celle qui est Résurrection. 'Ressusciter, naître ou renaître, c'est je crois la même chose' avait-il écrit un jour " Avec Lucien Febvre réfléchissant à la Renaissance dans le sombre contexte de 1942 (Michelet et la Renaissance, Paris, 1992), nous allons à notre tour entrer dans le sujet, conscients du contexte dans lequel nous parlons. Pour commencer, je vous présente ce qui vous attend le mardi. Il faut bien entendu lier Renaissance et Humanisme, ce qui sera fait de façon systématique dans ce cours, mais de façon plus précise et didactique en conférences et en TD. Mon opinion est celle de Verdun Léon Saulnier dans sa préface à Ferguson : " j'userai du mot Renaissance pour désigner la période, du mot Humanisme pour désigner l'effort significatif de cet âge. A l'intérieur de l'Humanisme il y aurait à distinguer des éléments d'une diversité ondoyante "
Dans ce cours du mardi, nous nous attacherons à deux couples problématiques, pour lesquels il faut parfois trancher les liens avec l'historiographie ancienne : les relations souvent avancées et pourtant discutables entre Renaissance et modernité d'une part, entre Renaissance et Réformes de l'autre.
Il faut prendre garde au pouvoir occulte des mots. Celui de moderne, modernisation, modernité est, plus que d'autres, élastique et utilisé aujourd'hui sans précaution. C'est l'introduction récente de la sociologie de Weber en France, à la suite des anglo-saxons qui est responsable du retour en force de cette idée. Nous examinerons tout d'abord le rapport entre Renaissance et modernisation
Bien des manuels continuent à lier Renaissance et Réforme. Ce n'est plus aujourd'hui sous la forme de la Réformation libérale mais sous celle de la Réforme de l'Etat (vers l'absolutisme) et de ses liens avec les Réformes religieuses (vers la confessionnalisation) que les chercheurs travaillent. Dans un deuxième temps de ce cours, nous examinerons ces liens entre Renaissance et idée de réforme aussi bien politique que religieuse (la séparation est d'ailleurs impossible)