Madame
Nicole LEMAITRE
Université Paris I Panthéon Sorbonne
Cours d'agregation d'histoire
Année académique
2002-2003
11. La réforme en continuité,
les réformistes-humanistes non schismatiques et leurs échecs
I. Profil de quelques groupes
II. Réformer par l'autorité
de l'Écriture
III. Faire la réforme pastorale
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11. La réforme
en continuité, les réformistes-humanistes non schismatiques
et leurs échecs
Ne jamais oublier que
les réformes de la fin du XVe siècle sont porteuses
à la fois de la Réformation et de la réforme
catholique, qu'on appelle Contre-Réforme seulement quand
elle est édifiée contre le protestantisme. Luther
était persuadé que tous les fidèles sincères
passeraient à la Réformation, or tel n'est pas le
cas, même en Allemagne. Les humanistes sont profondément
divisés en effet face à Luther. Après un premier
temps de sympathie qui amène des compagnons à Luther
et aux autres réformateurs, beaucoup répugnent au
schisme et refusent de choisir tandis qu'une partie choisit aussi
de camper sur le conservatisme. Il y a donc un mouvement jumeau
de réforme (G. Alberigo) qui accompagne les Réformations
et dont l'historiographie catholique n'a pris conscience que dans
la seconde moitié du XXe siècle, mais aussi un niveau
entre deux. Auparavant, dans les manuels, tout ce qui n'était
pas conforme aux canons tridentins était assimilé
à la Réformation. Le grand dictionnaire des frères
Haag, La France protestante, 1846-1859 et les historiens protestants
assimilaient tous ceux qui avaient critiqué à un moment
ou à un autre le catholicisme romain. Marguerite de Navarre,
Lefèvre d'Étaples, Érasme sont alors considérés
comme des protestants. Or la question est bien plus complexe.
Les historiens estiment aujourd'hui qu'il ne faut parler de protestants
qu'à partir de 1529 et de calvinistes qu'après 1560.
Entre 1530 et 1550, les frontières entre réformes
en continuité et Réformations sont encore floues.
Les orthodoxies ne se fixent vraiment qu'entre 1550 et 1565. Alors
seulement le choix religieux prend le sens d'une rupture volontaire
en dehors de l'élite. Jusque vers 1550, il y eu des réformateurs
avides de réforme mais refusant la rupture avec l'Église
romaine.
Qui sont ces humanistes non schismatiques ? Que veulent-ils ? réformer
par l'Écriture. Comment ? par une réforme pastorale.
I. Profil de quelques
groupes
Reconstituer leur histoire
est difficile car les critères de définition sont
fuyants. Un groupe peut tenir des propos hostiles à la messe
comme sacrifice, à la vie monastique, au pape, sans pour
autant accepter la disparition du clergé, de la vie régulière,
de la messe.
Ils faut les étudier sans projeter l'histoire future.
Le premier qualificatif qu'on leur donne (Calvin) est celui de nicodémites
(Jn 3,1)
Ils semblent partager les idées réformées mais
ne quittent pas le giron de l'Église et pratiquent dont la
dissimulation religieuse. Calvin sort contre eux en 1544 l'Excuse
à messieurs les Nicodémites pour les traiter de mauvais
réformés. Les catholiques les estiment aussi mauvais
chrétiens. Il s'agit d'un phénomène européen.
Cf Carlo GINZBURG, Il nicodemismo. Simulazione religiosa nell'Europa
del '500, Turin, 1970. Le Saint Office commence à poursuivre
ceux qui sont indifférents aux rites extérieurs car
ils privilégient l'expérience mystique, ceux qui sont
indifférents aux querelles théologiques et estiment
les controverses inutiles, ceux qui dans l'attente des Derniers
jours estiment que l'Église est une institution vidée
de sens.
La théorisation la plus poussée de cette attitude
se développe en Italie, mais l'origine est Allemande, comme
on le voit avec les humanistes Alsaciens Otto Brunfels à
la chartreuse de Strasbourg et Beatus Rhenanus à Sélestat
qui fondent la dissimulation religieuse sur l'Écriture en
1527.
En Angleterre, les catholiques adoptent la même attitude au
temps d'Elizabeth
En Espagne, les marranes et morisques mais aussi les alumbrados.
Les historiens, pour éviter le mépris attaché
au terme, les appellent plutôt Évangéliques
ou Bibliens parce qu'ils ne mettent rien au dessus de l'Écriture
comme autorité. Le terme n'est plus universellement admis
depuis qu'on travaille surtout sur leur rapport au pouvoir (en France,
il deviendra le parti des moyenneurs, qui veut l'union religieuse
par l'exclusion des extrêmes (M. de l'Hospital)), mais il
est commode.
Au surplus, au point de départ, on trouve une certaine unité
de l'attitude religieuse. Depuis Cantimori, les travaux italiens
ont été très nombreux sur ces tenants d'une
relation personnelle avec le Christ, très christocentristes,
très bibliens et surtout favorables à l'effusion spirituelle
; leurs adversaires les appellent " les pleurards ". Massimo
FIRPO, Riforma protestante ed eresie nell'Italia del Cinquecento.
Un profilo storico, Rome, 1997. Ils ont pour eux une grande proximité
avec l'esprit mendiant, revivifié par Savonarole, diffusé
sans cesse tout au long de la période (cf Marguerite de Navarre
initiée par un exilé florentin en 1521).
Le terreau le plus fécond est après Florence, Venise,
qui est aussi un grand centre de la réforme Bénédictine.
C'est de là que viennent l'ermite réformateur (camaldule)
Giustiniani aussi bien que le laïc et vénitien Gaspard
Contarini, converti le samedi saint 1515 à justification
par la foi seule, il acquiert paix et sécurité (dit-il)
en découvrant dans l'expérience spirituelle la miséricorde
divine qui seule peut effacer le péché. Il devient
en 1520-1530 une figure de proue de l'évangélisme
italien, en fédérant tous ceux qui cherchent une religion
épurée.
Mais on trouve aussi un cercle padouan, très réceptif
aux écrits d'Érasme et au radicalisme de la Philosophie
du Christ, autour des disciples de Pietro Bembo : Vergerio, Flaminio,
Pole. On trouve un autre groupe à Naples, autour de Juan
de Valdès qui y séjourna entre 1534 et 1541.
Tous ont en commun un grand irénisme, la certitude que la
violence ne peut résoudre les questions qui touchent à
la conscience. Ils défendent aussi le retour à l'Église
des premiers temps, mais ils refusent le schisme avec Rome et plus
encore avec les traditions médiévales en matière
d'organisation de l'Église et de rites.
Ex. Le français François Bauduin un juriste d'Arras
(1520-1573), taxé par Calvin de " moyenneur " en
1561. Cf Mario TURCHETTI, Concordia o tolleranza ? François
Gauduin e i " moyenneurs ", Genève, 1984.
C'est un ami du calviniste Jean Crespin, qui a assisté avec
lui aux prêches, il est banni en 1545, passe à Genève
et devient secrétaire de Calvin en 1547. Après une
première rupture avec Calvin, il enseigne le droit à
Bourges et retourne à Genève en 1555, rompt à
nouveau et se retrouvent à Heidelberg où il devient
l'ami de Melanchthon sans jamais adhérer au luthéranisme.
Pour lui réformer l'Église, c'est la ramener au temps
de Constantin : il explique que la reformatio n'est pas la transformatio
" Nous appelons maintenant transformatio quand on efface du
tout une forme visible pour en introduire une autre toute nouvelle.
Nous appelons reformatio quand on tâche à réparer
et établir la forme première " Discours sur le
fait de la réformation de l'Eglise, pub. André STEGMANN,
Édits des Guerres de religion, Paris, 1979, p. 37-43. Or
la voie moyenne de Bauduin est celle qui est proposée par
le catholique chancelier Michel de l'Hospital au colloque de Poissy,
en vain d'ailleurs, car l'heure est aux intransigeants. Mais les
moyenneurs formeront le noyau des Politiques qui vont faire le succès
d'Henri IV.
On peut donc parler de Tiers parti ou de troisième voie,
née de façon simultanée dans plusieurs pays,
ils sont souvent insaisissables car ils ne nous ont pas souvent
laissé leurs états d'âme par écrit mais
leur aventure présente un air de famille.
-Les érasmiens espagnols et italiens sont dans ce cas
M. BATAILLON, Erasme et l'Espagne, 1937. Parfois dépassé
mais magnifiquement écrit. Raconte le formidable succès
de l'Enchiridion, traduit en 1525 " un manuel du christianisme
en esprit " contre les innombrables prescriptions. L'entourage
de Charles V est très érasmien. Ces érasmiens
sont détruits par l'Inquisition espagnole en 1557-1558 après
avoir formé des cercles persécutés. On y trouve
par exemple, dans le cercle d'Alcalà, Juan de Valdès,
auteur du Dialogue de doctrine chrétienne, 1529. Persécuté,
celui-ci s'enfuit à Naples où il entre en contact
avec l'aristocratie italienne, ex le cercle de Viterbe mené
par Vittoria Colonna, où on trouve Michel Ange, Reginald
Pole, Giovanni Morone… Ils sont également poursuivis par
le Saint Office après 1541 et surtout entre 1555 et 1560.
Des manuscrits circulent, qui reprennent l'héritage des alumbrados
prônant la quête de l'illumination intérieure,
sans développement dogmatique et sans rites extérieurs
: la seule chose importante est la vie spirituelle, la dévotion,
la justification par la foi ; l'extérieur ne doit pas être
combattu, n'a pas besoin d'être combattu car seule compte
la rénovation intérieure pour renouveler la vie et
la société chrétienne. Inutile de polémiquer.
Ces attitudes ne sont pas nicodémisme mais indifférence
aux formes extérieures de la religion. Le groupe de Naples
a eu une influence profonde sur Julia Gonzagua, Vittoria Colonna,
Carnesecchi, Reginald Pole, Occhino. Le disciple le plus actif de
Valdès fut Marc Antoine Flaminio. Une partie des disciples
de Contarini se retrouvent donc dans ce groupe. Ces groupes très
divers manifestent une présence diffuse de ces idées
un peu partout en Italie.
Contarini est plus " luthérien " que ces derniers,
mais il ne rejette ni le clergé ni les dogmes. Il développe
plutôt un Augustinisme classique, qu'on retrouve chez Seripando
par exemple. Au contraire, Flaminio va se radicaliser en lisant
Calvin par exemple.
Dès 1535, Contarini devenu cardinal va militer pour un compromis
théologique avec la Réforme de l'Europe du Nord. En
mai 1541, il négocie à Ratisbonne avec Melanchthon
une déclaration commune sur la double justice donnée
par le Christ. Mais le texte est refusé par Rome. Par le
parti intransigeant du Sacré Collège (Carafa, Cervini,
Aleandre) mais aussi par Sadolet qui trouve qu'il accorde trop de
place au pessimisme luthérien. Quant à Pole, il estime
que les fondements scripturaires en sont douteux. Par contre, la
formule de Ratisbonne est reconnue par le Maître du Sacré
Palais, Tomaso Badia. Les partisans du dialogue et d'une clarification
théologique nette s'affrontent jusqu'au concile, qui sort
dès 1547 le décret sur la justification (mais Pole
a quitté le concile pour ne pas avoir à le souscrire).
A Modène, l'évangélisme est confronté
à des groupes plus radicaux. Morone tente de leur faire signer
une formule rédigée par Contarini. Pour eux, la justification
par la foi ne met pas en cause la hiérarchie.
L'année 1542 voit à la fois l'échec de Ratisbonne,
la mort de Contarini, la création du Saint-Office, la fuite
d'Occhino et Vermigli alors qu'ils sont convoqués à
Rome. Plusieurs de ces érasmiens ont choisi la fuite à
Genève, comme Pier Paolo Vergerio et Bernardino Occhino (général
des Capucins), mais la plupart sont anticonformistes en privé
et conformistes en public. Une nouvelle vie religieuse est en gestation.
C'est ainsi que Giberti (Vérone) écrit à Gonzague
: " puisque nos spirituali nous donnent peu de consolation,
il serait bien d'abandonner leur compagnie ". C'est l'heure
du choix.
Les spiritualistes se radicalisent alors, particulièrement
dans le groupe valdésien de Viterbe autour de Pole et Morone
qui élabore une justification proche de celle de Luther.
La première version du Trattado del beneficio est imprimée
en 1543, après avoir circulé sous forme manuscrite.
Elle est l'œuvre d'au moins deux auteurs : l'OSB Benedetto de Mantoue,
moine à San Giorgio de Venise puis à Catane. Le texte
est revu par Flaminio dans un sens très augustinien. Il propose
le salut par la foi seule : se croire prédestiné suffit
à accéder au salut et le pardon est accordé
à tout le genre humain. C'est une synthèse entre l'humanisme
chrétien et le sens de l'omnipotence divine. Ce livre consolateur
a reçu un énorme écho : peut-être 40000
ex du Beneficio ont été vendus à Venise dit
Vergerio (excessif).
Très rapidement le livre est interdit et circule de façon
clandestine. Mais Morone et Pole jouent un rôle important
au concile de Trente, ils ne sont pas encore discrédités
et la politique d'équilibre de Paul III leur donne la possibilité
de s'exprimer. A la fin du pontificat de Paul III, Morone rate d'une
voix l'élection pontificale. Il est aussitôt accusé
par Carafa et le Saint-Office fait l'élection de Del Monte.
De même en 1555, Cervini et Carafa seront élus par
le Saint-Office sur leur volonté d'épuration. Morone
est emprisonné en 1557, Pole rappelé à Rome
(mais sauvé par Mary Tudor). A la mort de Paul IV, ils sont
réhabilités mais ils ont perdu leur influence politique.
Pole est proche de la justification luthérienne, mais il
le concilie parfaitement avec un engagement public envers la défense
du Saint-Siège. Les sources inquisitoriales biaisent en effet
la démarche historique, on refuse donc de plus en plus de
qualifier les attitudes religieuses des spirituels. Tous partagent
une quête de l'illumination qui correspond à une inquiétude
personnelle.
Leur but est de promouvoir la vérité de la justification
mais ils sont aussi responsables dans l'Église au plus haut
niveau. Ont-ils voulu une réforme de l'intérieur en
pratiquant un certain entrisme ? C'est le point de vue de Carafa.
Mais Pole et Morone ont été des candidats sérieux
au pontificat. Les spirituali s'opposent donc aux intransigeants
à Rome. Peut-être a-t-on un peu trop fait de Paul IV
un croquemitaine totalitaire.
Les spirituels collaborent à l'œuvre de réforme de
l'Église catholique, au moins depuis 1537. Ils ont beaucoup
de relais dans la société italienne cf A. Prosperi,
autour de l'OSB G. Siculo, qui défend la valeur de la révélation
prophétique et le pélagianisme est exalté au
Mont-Cassin. Il sera exécuté en 1551 sans le secours
de la confession. On compte beaucoup de cas similaires, l'Italie
n'est donc pas seulement le réceptacle de Wittemberg et de
Genève mais développe des voies propres de réforme.
On peut faire la même remarque pour la France, dans le sillage
de Marguerite de Navarre et Guillaume Briçonnet.
- Les fabristes français
Les disciples de Lefèvre d'Étaples et la cour de Marguerite
de Navarre à Nérac. Aussi le groupe de Meaux qui tente
une vraie réforme du diocèse sous l'autorité
de l'évêque Guillaume Briçonnet. Lefèvre,
Gérard Roussel, Michel d'Arande, Pierre Caroli, Guillaume
Farel… sont condamnés par le parlement en 1525 et passent
par Strasbourg en 1527. Mais plusieurs deviennent évêques
ou curés dans les années 1530, à Oloron, Saint
Paul Trois châteaux, Rodez et on suit beaucoup de moyenneurs
à leur suite.
Il s'agit cependant d'une étroite élite intellectuelle,
qui témoigne de la montée de la conscience individuelle
et de la privatisation de la religion. Mais il s'agit tout autant
d'un mouvement intérieur de rénovation de l'Église
romaine, au moins tant qu'ils n'ont pas été persécutés.
Leur unité, plus encore que sur la dissimulation, repose
sur la volonté de réformer sur des principes simples.
II. Réformer
par l'autorité de l'Écriture
Ils sont, comme les
protestants, fascinés par la Bible. Luther n'est donc pas
le seul converti par la lecture de saint Paul
- Le grand reproche des luthériens et calvinistes est que
l'Église romaine ne met pas la Bible au premier rang de la
vie chrétienne. Pour Érasme, Lefèvre, Clichtove
et Guillaume Briçonnet, l'autorité de la Bible est
première. Mais elle doit être lue en Église
comme l'affirme Thomas More face aux premiers protestants anglais,
et non pas interprétée de façon individuelle.
Cf. Bernard COTTRET, dans Annales ESC
Guy BEDOUELLE et Bernard ROUSSEL, Le temps des Réformes et
la Bible, Paris, 1989.
Prêcher la Parole de Dieu, rencontrer le Christ à travers
le dialogue de la parole (lecture à haute voix) est essentiel
pour tous et pas seulement pour les protestants. Pour les grands
mystiques comme Ignace de Loyola, Thérèse d'Avila,
Jean de La Croix…, l'intelligence de l'Écriture est liée
au progrès spirituel, mais la Bible seule authentifie l'expérience
mystique (ex. Élie, Cantique…) Il s'agit d'une pratique de
la Bible difficile à saisir comme objet d'histoire car elle
n'a pas la radicalité protestante, mais elle inaugure des
temps nouveaux dans le catholicisme aussi. Le concile de Trente
sera très prudent sur la Bible, c'est seulement à
partir de 1564, en soumettant toute traduction à l'évêque
du lieu que la traduction est gênée. Mais il n'y aura
jamais d'interdiction de lire la Bible chez les laïcs, du moment
qu'ils la lisent en latin… ce qui crée une pratique particulièrement
élitiste, qui fait toute la différence avec les protestants.
-La justification par la foi et la liberté chrétienne
Les premières générations, avant la naissance
du protestantisme, ont lu et relu Rm 1,17 et nombre de théologiens
comme Cajetan, Roussel, Contarini, pensent que seule la foi du Christ
rend le chrétien juste, une foi gratuite qui vient de Dieu
seul et non des efforts de l'homme. Jusqu'au concile de Trente,
ce n'est pas une marque d'hérésie. Encore ce dernier
définit il très tôt la justification catholique
dans son décret de 1547 et sur un fondement Érasmien,
l'Érasme qui défendait la liberté de l'homme
face à Luther : Dieu donne gratuitement la foi mais l'homme
n'est pas inactif, il peut choisir le bien. A plusieurs reprises,
des colloques ont marqué l'accord avec les protestants sur
ce point, par exemple à Ratisbonne en 1541, un colloque mené
par les érasmiens de l'entourage de Charles V et Gaspard
Contarini comme nonce. Ces discussions sont la preuve que jusqu'à
cette date, le débat théologique n'empêche pas
l'unité.
-Le primat de la vie intérieure sur les observances
Érasmisme, fabrisme, luthéranisme, valdéisme,
calvinisme… sont des mouvements de rénovation spirituelle,
fondée sur la culture intellectuelle et la piété.
C'est une attitude première de l'humanisme. Face à
cette réalité, les sacrements et les œuvres sont dévalorisés.
La prière privée (oraison), dont les techniques ont
été mises au point dans les couvents de la devotio
moderna au siècle précédent, est soutenue.
Elle devient méditation méthodique avec les Exercices
de Ignace de Loyola mais aussi avec le Rosaire. Le dominicain espagnol
Louis de Grenade l'expliquera dans sa Guide des pécheurs
en espagnol (1554-1556) dans ce qui deviendra un best seller du
XVIIe siècle. Les risques de telles pratiques sont de tomber
dans le subjectivisme, c'est pourquoi les Jésuites prônent
la soumission à un directeur de conscience et les protestants
luttent contre l'illuminisme (le libre exemen est pour plus tard).
III. Faire la réforme
pastorale
Ces réformateurs
exaltent le sacerdoce et l'autorité hiérarchique.
Le prêtre, homme de la messe, est supérieur aux anges
dit François d'Estaing avec Clichtove. Il doit donc être
bien formé pour bien travailler et mener une vie digne de
sa vocation (on voit les interstices augmenter pour toute une frange
d'ordinands). C'est sur ce thème que les fabristes se séparent
en deux groupes, dès 1518-1519. Réformer par le prêtre
est une forme de la reformatio qui arrive à maturité.
L'Italie suit les mêmes thématiques.
Les compagnies de prêtres apparaissent en Italie pour défendre
un nouveau style de vie sacerdotale. Les Théatins, en 1524,
ou ClerCs réguliers de la Divine providence par Jean Pierre
Caraffa, évêque de Chieti (Theane) et futur Paul IV,
les Barnabites ou Clercs réguliers de Saint-Paul en 1530
par Antoine-Marie Zacharia , les Jésuites (1539). En France,
il faudra attendre la fin des Guerres de Religion pour voir un tel
mouvement se poursuivre (Sulpiciens, Lazaristes…). Tous ont en commun
la volonté de promouvoir un prêtre digne dans sa vie,
son apparence et ses propos, un prêtre séparé
du commun, responsable du salut des fidèles sur son propre
salut.
Les Barnabites n'hésitent pas à évangéliser
dans les rues, à utiliser des chants entraînants, à
créer des contre fêtes comme la prière des 40h
pendant les désordres Carnaval. Mais en même temps
ils prônent l'obéissance à la hiérarchie.
Ces réformateurs accompagnent aussi des formes nouvelles
de dévotion, à la mode à la fin du XVe siècle
et remises en cause par les Réformations. Le culte eucharistique,
culte de la présence réelle, étudié
par Miri Rubin, Corpus Christi. The Eucharist in Late Medieval Culture,
Cambridge, 1991, qui montre comment la fête du Corpus se développe
rapidement en Occident à partir de Liège, de Rome
et d'Avignon et comment elle entre dans les cultures locales. L'Eucharistie
est un symbole unifiant, un principe organisateur et unanimiste
qui séduit les villes. Elle permet en effet de rendre visible
le corps collectif, dans un monde où " faire corps est
de l'ordre du sacré ".
Le Rosaire, une dévotion dominicaine née à
la fin du siècle dans l'entourage d'Alain de La Roche , qui
fait partie des OP de l'observance de la congrégation de
Hollande, crée à Évreux en 1470 une confrérie
dont la tâche est la récitation du Rosaire et méditation
des épisodes (Mystères) de la vie de Jésus
et Marie. En 1475, au couvent des OP de Cologne, il organise la
maison mère de la Confrérie où on participe
à la dévotion sur inscription (très rapide
développement en Europe). La dévotion est donc très
contrôlée par le clergé ; elle ne deviendra
méditation des 15 mystères qu'à la fin du XVIe
siècle, au moment où le pape donne le monopole de
l'érection de confréries au général
des dominicains (chapelet=5 dizaines séparés par NP,
Rosaire=3 chapelets et 15 mystères=150 AM).
Ils défendent enfin, comme François d'Estaing à
Rodez ou Jean Michel à Angers, le culte de la Vierge et des
Anges gardiens contre les critiques humanistes et bibliques. A la
fin du XVe siècle, la solennisation des fêtes de la
Vierge est aussi très importante et surtout le succès
des pèlerinages mariaux commence (Le Puy, Liesse, Lorette…)
au détriment des cultes traditionnels des saints.
Tous les indicateurs (testaments…) montrent le recentrage général
de la piété sur la vie du Christ et la personne du
Christ (accessoirement de la Vierge) qui sont magnifiés dans
les mystères (J. M. Matz a calculé que dans sa vie,
un angevin voyait 10 mystères et entendait 800 sermons)
Les grandes vedettes de la réforme catholique ne datent donc
pas du concile mais s'enracinent loin dans les pratiques du Moyen
Age flamboyant cf Histoire de la France religieuse, t. II. Elles
sont respectées par les réformateurs non schismatiques
mais seront investies de façon systématiques par le
catholicisme tridentin comme marques profonde d'identité
catholique hostile au protestantisme.
On a trop eu tendance à définir les humanistes aspirant
à la réforme par rapport à une Église
catholique officielle qu'on suppose uniforme et gardienne sourcilleuse
de la doctrine. On a trop fait de ces réformistes des progressistes
laminés par les méchants catholiques intégristes.
En fait il n'y a pas avant la publication des 36 articles de la
foi de la Faculté de théologie, en 1543, voire avant
le début du concile d'unité qu'on puisse appeler catholiques.
Tous les intellectuels critiques à l'égard de l'Église
ne veulent pas une transformatio. Au nom de l'Écriture, ils
placent le Christ au centre du salut et y rapportent toutes les
bonnes coutumes de la piété chrétienne. Ils
pensent qu'il faut obéir à l'Église car "
la vérité de Dieu est en l'église des sainctz
" dit Gérard Roussel, ancien du Groupe de Meaux devenu
évêque d'Oloron, l'un des modèles du nicodémisme.
Il n'y a pas de catholiques et de protestants tant que les positions
du catholicisme ne sont pas définies, ce qui est le rôle
du concile.
Pourquoi leur échec ? A cause de la répression ? Parce
que le mouvement a refusé de se constituer en confession
? En tout cas on observe les capacités réelles de
conviction de cette Renaissance qui refuse l'intransigeance, même
si Morone défend parfois des réformes soutenues en
même temps par Carafa et si Guillaume Briçonnet et
son entourage le moins radical rentrent dans le rang en silence.
On a un peu oublié que la plupart se rallient au concile
et à Rome, faute d'avoir réussi la conciliation :
Contarini, Morone, les Jésuites vont se mettre au service
du concile aussi bien que les plus intransigeants. La dérive
de tous les schismatiques vers des positions de plus en plus radicale
condamnait sur le moment ceux qui affectaient de ne pas choisir.
Or les Guerres de Religion vont leur donner raison. On ne peut pas
travailler sur la paix sans tenir compte de la présence de
ces entre-deux dans le corps social. Qu'est-ce qui fait que les
plus radicaux ont la parole, d'un côté comme de l'autre
? Qu'est-ce qui stérilise l'action des moyenneurs ?
Ceci demande une interprétation générale bien
difficile à tenir pour cette époque. Je ferai, à
titre de conclusion provisoire de cet examen des phénomènes
entre Renaissance et Réforme(s).
Il faut tenir compte toujours des mouvements sociaux, des aspirations
politiques, de la logique des événements qui entraînent
ceux qui entrent dans l'action plus loin que prévu.
Mais à l'époque de la Renaissance, il semble que l'aspiration
à la radicalité est enracinée à la fois
dans la croyance courante en la fin des temps, dans les angoisses
existentielles des fidèles et dans le désir de réforme.
La remise au premier plan de l'idéologie de l'Écriture,
de l'Église des premiers temps, de l'Antiquité chrétienne
est la face humaniste du religieux. Or l'institution Église
médiévale, si elle est parfois prête à
se remettre en cause en parole, ne l'est pas vraiment dans ses fonctionnements.
La rigidité de l'institution face aux changements culturels
n'est pourtant jamais une fatalité comme le montre la qualité
des débats du concile. Les catholiques ont choisi, eux aussi
la rupture ; ils ne font pas que défendre le passé.
Les transformations culturelles de la fin du Moyen Age affectent
donc l'ensemble des secteurs pour pousser au changement, soit pour
rénover, soit pour faire table rase, mais toujours pour bouger.
Vouloir changer, aller de l'avant est la grande caractéristique
de cette époque.
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