Madame
Nicole LEMAITRE
Université Paris I Panthéon Sorbonne
Cours d'agregation d'histoire
Année académique
2002-2003
12. La réforme en continuité
réussie, le concile de Trente
I Les conditions
II Les décisions
III Les transformations dans l'équilibre
des pouvoirs
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12. La réforme
en continuité réussie, le concile de Trente
De 1545 à 1563,
l'Église catholique a vécu un événement
auquel plus personne ne croyait vers 1530. La tenue du concile est
commandée par les progrès de la Réforme protestante,
de plus en plus conquérante mais aussi de plus en plus contestée
par une partie des humanistes hostiles au schisme. Cette réunion,
par sa date, par sa durée (18 ans) par ses décisions
pose cependant problème à l'historien : pourquoi une
réunion si tardive, pourquoi cette importance de son temps,
pourquoi ses décisions ont-elles tenu si longtemps ? Nous
verrons premièrement les conditions de réunion et
de déroulement du concile, puis, deuxièmement, ses
principales décisions, troisièmement en quoi il change
le fonctionnement de l'Eglise catholique.
I Les conditions
1. Pourquoi faudrait-il
réunir un concile ?
Luther voulait un concile car il était pour lui porteur des
décisions en dernier ressort dans l'Église, selon
les théories conciliaristes issues des conciles du XVe siècle
qui avaient suivi le Grand Schisme. Il lança donc un premier
appel en novembre 1518 et un second en novembre 1520, tout en expliquant
dans l'Appel à la noblesse de la nation allemande qu'il s'agit
d'abattre les trois murs érigés par Rome pour éviter
sa réforme : la supériorité du pouvoir spirituel
sur le pouvoir temporel ; l'interprétation de l'Écriture
réservée au pape ; la convocation du concile réservée
au pape. Il s'agit pour Luther de diminuer les pouvoirs de la Curie,
de lutter contre le luxe des papes et des cardinaux, contre les
impôts, contre la puissance des ordres religieux en s'appuyant
sur la noblesse et sur l'empereur. Pour Luther comme pour les humanistes,
il s'agit de libérer le concile du pape.
Du côté catholique, on n'aspire pas à un concile
car celui de Latran V s'est achevé en 1517, quelques semaines
avant la révolte de Luther. Ce concile, réuni pour
répondre aux français qui réclamaient une certaine
indépendance de l'Eglise de France(gallicanisme) était
complètement dans la main du pape mais dans le sermon d'ouverture
du concile, le supérieur général des Augustins,
Gilles de Viterbe, avait fait une description réaliste des
abus de la Curie et des bénéficiers. Mais la papauté
est démunie contre la révolte allemande car s'ils
soutiennent en général les réformes des diocèses
ou des ordres religieux, ils ne s'impliquent pas dans le développement
de ce renouveau. Le nouveau pape, Clément VII, un Médicis,
a peur du concile pour lui-même (il est de naissance illégitime
et a été élu grâce à sa puissance
financière) et il a peur pour le pouvoir du pape. De toutes
façons l'Europe est en guerre.
2. La lente marche vers le concile
Le nouveau pape, Paul III (Alexandre Farnèse, 1534-1550),
formé à la cour de Laurent de Médicis, est
un homme de cour brillant et raffiné, qui pratique le népotisme
comme jamais, mais qui est à l'écoute du monde. Il
a été élu pour réformer, mais pas trop
longtemps car il a surtout été élu à
cause de son âge (67 ans) ; il est persuadé que la
papauté doit prendre en charge la réforme de l'Église
et il va lutter dans ce sens pendant 15 ans, imprimant un nouveau
style à Rome. Il promeut d'abord de jeunes cardinaux entreprenants,
comme le vénitien Gaspard Contarini, l'anglais Reginald Pole,
Jean-Pierre Carafa (Paul IV), Jean-Marie del Monte (Jules III),
Marcel Cervini (Marcel II)… et leur demande de faire des propositions
pour la réforme de l'Église. Celles-ci sont publiées
en février 1537, dans le Consilium de emendanda ecclesia.
On y reconnaît la responsabilité de Rome dans les désordres
de l'Église et on y promeut l'idéal pastoral embiant
: former les prêtres, imposer la résidence de ceux
qui ont charge d'âmes dans les paroisses, diocèses
et abbayes, surveiller les religieux, les imprimeurs et les universités,
donner moins de dispenses allant contre les règles du droit.
Il s'agit d'une réforme du clergé et non de la Curie
; très logiquement, les protestants refusent. Mais Paul III
se lance dans une activité diplomatique intense, en envoyant
un peu partout des légats pour promouvoir le concile et créant
au passage la diplomatie moderne.
Paul III réussit à convaincre. En avril 1536, Charles
V est de passage à Rome ; le pape et l'empereur fixent la
réunion du concile à Mantoue en 1537, mais la guerre
rend impossible cette réunion, Mantoue refuse et Charles
V propose Trente, que les français refusent. Quatre prorogations
vont suivre. Mais l'empereur choisit une autre politique, sous l'influence
de l'électeur de Brandebourg, un protestant prêt à
lui accorder son aide contre les Turcs. Il décide de réunir
catholiques et protestants pour discuter dans des Colloques, dont
la base doctrinale est le De sarcienda ecclesiae concordia (Du rétablissement
de la concorde dans l'Église) d'Érasme, écrit
en 1536. Ce dernier estime qu'avec de la bonne volonté, tout
peut être réparé, au moyen d'un christianisme
authentique et respectueux des autres points de vue. Au colloque
de Ratisbonne de 1541, Gaspard Contarini , le représentant
du pape, affirme que la source de la rupture religieuse de Luther,
la justification par la foi, appartient au christianisme primitif.
Catholiques et luthériens s'accordent sur la justification
par la foi mais l'assemblée ne peut se mettre d'accord sur
la nature des sacrements et la hiérarchie dans l'Église.
C'est l'échec. Le pape décide alors de convoquer le
concile à Trente.
Pendant ce temps, une frontière doctrinale s'est peu à
peu construite entre catholiques et protestants. Pendant que les
protestants rédigent leurs confessions de foi et mettent
au point leurs liturgies, les facultés de théologie
catholiques rédigent des Articles de foi : les 36 articles
de la Sorbonne en 1543, les 32 puis 59 articles de Louvain en 1544.
L'heure est, de part et d'autre, à l'affirmation de vérités,
à la radicalisation. C'est la fin des incertitudes et de
l'ouverture, la fin des discussions ouverte, le début du
repli sur soi de chacun des camps. De chaque côté,
on n'admet plus ceux qui pensent autrement et les pouvoirs politiques
appuient les pouvoirs religieux pour obtenir une unité, c'est
ce qu'on appelle la confessionalisation.
3. Le concile de Trente au travail
Si le concile fut réuni tardivement, il n'en suscitait pas
moins un grand intérêt. Beaucoup de décisions
avaient été renvoyées au concile, même
dans le monde non schismatique, ce qui provoquait nombre d'ambiguïtés.
Mais si Paul III ne ménageait pas ses efforts, tenir un concile
était terriblement compliqué dans les conditions techniques
du temps et compte tenu des événements politiques,
auxquels la papauté et le concile sont soumis. Tout au long
de sa réunion, la conjoncture restera fragile. Le poids postérieur
de ce concile masque des difficultés sans nombre. Le concile
demande une organisation matérielle pour accueillir et loger
tant de monde. Il suppose un engagement financier, qui sera pris
en charge par la papauté, riche de ses États pontificaux.
Il suppose enfin que l'équilibre diplomatique soit maintenu,
pour éviter la guerre générale et que l'Italie
soit elle-même localement en paix pour maintenir les voies
de circulation ouvertes. C'est la volonté de réunion
et de résultat qui impose dès le départ une
dynamique de travail.
Tout est oublié de cette interminable préparation
le 13 décembre 1545, à la première heure (9h30),
quand la procession des pères conciliaires, des ambassadeurs
et de la noblesse du lieu entre dans la cathédrale Saint-Vigile
pour la messe du Saint-Esprit et la première session. A 14h,
la première décision est prise : la date de la seconde
réunion est fixée. Les pères tombent dans les
bras les uns des autres. Seripando, le général des
Ermites de Saint-Augustin (l'ordre de Luther) note dans son journal
: " la bouche est ouverte, qui ne peut proclamer que la vérité
".
Le concile n'a jamais réuni les foules. Il commence avec
34 mitres et 42 théologiens (4 % des prélats pouvant
y siéger), mais même au meilleur moment, en 1563, il
n'a jamais réuni plus de 200 pères. En 1562-1563,
seuls 276 évêques et 17 abbés sont passés,
sur environ 700 évêques en fonction. Le fait est cependant
ordinaire, compte tenu de la difficulté des relations à
l'époque préindustrielle.
La vraie menace pour le concile tenait pourtant aux événements
politiques, qui ont provoqué deux interruptions, entre mars
1547 et mai 1551, en raison de la peste et de la mésentente
entre le pape et l'empereur, surtout après la paix d'Augsbourg.
La deuxième interruption, d'avril 1552 à janvier 1562
est due à la politique antiespagnole de Paul IV. Son successeur,
Pie IV est moins violent mais dans une situation diplomatique délicate.
Elizabeth Ire d'Angleterre et le nouvel Empereur Ferdinand Ier prétendent
avoir réglé le problème et ne voient pas l'intérêt
du concile. L'Espagne voudrait garder la main sur la Curie et la
réformer à son avantage. La France de Catherine de
Médicis et Michel de l'Hospital pratique une politique de
tolérance. Ils n'attendent rien du concile. Il a fallu la
patience et la subtilité d'un négociateur de génie,
Giovani Morone, un cardinal érasmien un temps emprisonné
par le Saint-Office (sous Paul IV, en 1559) pour que la situation
diplomatique se débloque. Morone obtient l'accord de Philippe
II d'Espagne sur la promesse qu'on restera à Trente. Il obtient
l'accord du nouvel empereur Ferdinand Ier, sur la promesse qu'on
acceptera la communion sous les deux espèces. En France,
il obtient l'accord du cardinal de Guise, sur la promesse qu'il
deviendra chef de l'Église de France. C'est Morone, légat
du pape à la mort de Seripando, en 1563, qui fait du concile
un événement européen.
Si depuis le dernier concile l'autorité du pape sur le concile
a été rétablie, la méfiance reste grande
pourtant, aussi le pape ne participe-il au concile que par légats
interposés. Ces derniers, dont plusieurs deviendront papes,
ont su arbitrer entre les groupes nationaux. Ils avaient en général
l'appui du clergé italien, proche du pape en raison de son
pouvoir, mais c'était bien différent avec le clergé
espagnol, qui se distinguait par sa haute culture théologique.
Le clergé français était gallican, c'est-à-dire
attaché aux privilèges nationaux de la France et hostile
à l'intrusion de la papauté dans ses affaires. Le
clergé allemand était enclin au compromis avec les
protestants. Pour tous, le Saint-Siège était responsable
du désastre, mais ils n'étaient pas d'accord entre
eux. Espagnols et Allemands voulaient une réforme disciplinaire
et en particulier obliger les évêques à la résidence
pour mieux défendre leur pouvoir de droit divin sur leur
diocèse. Les Italiens et les Espagnols s'affrontaient aux
Français pour imposer des définitions des dogmes antérieures
à la venue des Français, en 1562. La majorité
était cependant favorable à la réforme du Saint-Siège,
contre les Italiens.
La papauté a réussi à maîtriser la procédure
du concile par l'intermédiaire de ses légats, qui
présidaient et mettaient donc les questions à l'ordre
du jour. Dès le début, il est décidé
que le vote n'appartiendra qu'aux évêques et supérieurs
d'ordre (ni les théologiens, ni les laïcs). Les sujets
sont d'abord discutés en congrégation particulière,
une libre discussion entre les théologiens et les canonistes,
en présence des pères. Puis les pères se réunissent
en congrégation générale. Ils discutent librement
et élaborent des textes successifs. Lorsque l'accord le plus
large possible est obtenu, le vote est conduit lors d'une session
solennelle. Le but de cette procédure est la recherche du
consensus le plus large possible et non d'une majorité, c'est
pourquoi certaines questions, très discutées, ne feront
jamais l'objet d'un décret.
La discussion est menée le plus souvent sur catalogue d'erreurs,
elle est donc orientée vers la controverse. Elle débouche
à la fois sur des décisions doctrinales et sur des
décisions pratiques ; le concile a travaillé les deux
aspects en parallèle de la première à la dernière
session, c'est la preuve d'un équilibre relatif du concile
par rapport au pape. Les évêques ont su se faire entendre,
mais il est vrai qu'il était plus facile de trouver le consensus
sur une définition dogmatique que sur des processus efficaces
de réforme de l'Église.
Les discussions et les votes étaient secrets. La presse trop
faible encore pour parler des questions en cours d'examen. L'interprétation
des décrets au moyen des discussions sera donc accaparée
par celui qui détient les archives, le pape. Il faudra attendre
l'ouverture aux chercheurs de l'Archivio segreto vaticano en 1893
pour comprendre nombre d'allusions subtiles des décrets.
Mais en dépit de quelques ambiguïtés, le concile
a eu un succès certain. Le catholicisme s'y exprime par des
vérités nettes contre les positions protestantes,
mais il crée aussi ses propres réponses aux angoisses
du moment.
La chronologie des décrets se présente sans plan d'ensemble
car elle suit la chronologie des discussions. Le concile a été
divisé et certains problèmes comme la définition
de l'Eucharistie sont repris à plusieurs reprises, d'autres,
comme la définition de l'Immaculée conception de la
Vierge n'ont jamais trouvé de consensus. Faute de temps,
la dernière session est un fourre-tout. Il y a un côté
laborieux du concile, la complexité d'une oeuvre collective
qui exprime une sensibilité commune, une façon catholique
d'être ensemble.
Quel est cet édifice catholique qui se construit ? Premièrement
une théologie plus moderne, répondant aux questions
du temps, deuxièmement un souci de la liturgie et de la pratique
sacramentelle affirmés, troisièmement un nouveau fonctionnement
d'Église.
II Les décisions
4. Une définition
moderne des dogmes
Une fois installé, tenu solidement en mains par les légats
pontificaux, le concile travaille désormais sur les questions
du moment, en alternant décrets doctrinaux et décrets
disciplinaires. Il est réuni pour répondre aux positions
protestantes, il commence donc par définir des dogmes, par
une collaboration entre théologiens et canonistes, des vérités
dont on peut vérifier l'enseignement et la connaissance.
Il faut rappeler qu'un dogme, du grec " sembler bon, paraître
juste " exprime pour les catholiques une vérité
considérée comme irréformable. Il est la parole
de Dieu exprimée dans des mots humains (on peut donc changer
les mots, à condition de ne pas en changer le fondement).
Ces réponses dépendent largement des protestants car
les discussions suivent des catalogues d'erreurs tirées des
oeuvres de Luther, Melanchthon, Calvin, erreurs qui sont anathématisées,
c'est à dire vouées au diable. La formule est choquante
pour nous, mais la violence est identique de l'autre côté.
Chemin faisant, les catholiques trouvent aussi des solutions originales.
Un fait ne trompe pas, comme dans la Réforme protestante,
les textes de l'Écriture sont placés à la base
des travaux du concile, dès la 4e session, le 8 avril 1546,
très tôt après l'ouverture, ce qui est la preuve
d'un consensus. Avant de s'occuper des dogmes, le concile a donc
voulu s'occuper de leur fondement, définir les sources qui
permettent de construire la foi. Ceci est voulu par les légats
; ainsi, Del Monte : " Avant tout, il nous faut recevoir les
livres canoniques de la sainte Écriture, afin qu'ils soient
le fondement de ce à quoi le concile se consacrera par la
suite. Ainsi saurons-nous par quelles autorités sont renforcés
les dogmes et repoussées les erreurs des hérétiques
". Et Marcel Cervini de poser qu'il y a trois sources : les
livres saints ; les paroles du Christ gardées en mémoire
dans les communautés, l'action du Saint Esprit qui interprète
les Ecritures en permanence. Les deux premières questions
seront seules traitées par le concile, mais elles font l'essentiel
de l'originalité catholique : l'Evangile est transmis par
écrit et par oral, il vient de plusieurs sources mais toutes
sous l'inspiration de l'Esprit Saint et conservées par l'Église
au moyen d'une succession continue.
Le concile donne la liste des livres qui sont acceptés, en
fait ceux qui avaient été admis au concile de Florence,
en 1439, à la suite des discussions avec les grecs et lors
de la réunion des Arméniens. Or les travaux des humanistes
mettaient en doute certains textes et certains auteurs. Tous les
pères sont donc d'accord pour établir une liste mais
pas pour mettre l'anathème sur ceux qui douteraient de tel
ou tel livre. Face à la multiplication des éditions
incertaines, le concile accorde à la Vulgate, la Bible traduite
en latin par saint Jérôme au IVe siècle, un
monopole d'authenticité pour la discussion, la catéchèse
et la prédication dans l'Église, en raison de son
usage multiséculaire. Le texte est cependant reconnu fautif
et mérite une révision : la Vulgate n'est pas sans
reproche mais elle est suffisamment fidèle car on n'y a jamais
décelé d'hérésie comme dans les versions
nouvelles. La lecture d'autres versions que la Vulgate voire des
traductions n'est pas interdite. L'interdiction viendra plus tard,
sous la poussée de l'Inquisition en Espagne et contre les
traductions jansénistes en France.
Dans ses positions face à l'Écriture et aux Traditions,
le concile se révèle un bon disciple de la méthode
humaniste : établir une opinion sur les textes eux-mêmes
et non pas sur des constructions logiques. A partir de ce point
de départ scripturaire, liturgique ou patristique, les dogmes
en cause dans l'explosion réformée sont repris par
les théologiens. On examine d'abord la question du péché
originel. Ce dogme, fondé sur la désobéissance
d'Adam en Paradis (Gn 1) est l'un des grands mythes du monde occidental
pour expliquer la présence du mal et de la perversité
humaine. Quand Adam désobéit à Dieu et veut
prendre sa place, l'image divine qui se reflétait en lui
et en faisait un être libre et raisonnable est pervertie.
Mais il n'y a pas de description détaillée de l'homme
avant la chute. Selon qu'il était parfait et achevé
(saint Augustin) ou enfant appelé à la perfection
par son effort (saint Irénée), les conséquences
de la chute sont pensées de façon différente.
Les pères occidentaux de l'Église ont cherché
une réponse claire aux effets de la désobéissance
d'Adam à cause des hérésies, en particulier
du développement du pélagianisme qui rééditait
la controverse entre Pélage et saint Augustin. Pour le moine
Pélage, Adam avait seulement donné le mauvais exemple,
l'homme pouvait se défaire lui-même du péché
et être parfait. Face à cette position qui niait l'action
du Christ, saint Augustin rappelait au contraire que l'homme a été
créé libre mais qu'il a choisi le mal. L'espèce
humaine est donc totalement corrompue, son libre arbitre est détruit
et le choix de la liberté sans l'aide de Dieu est toujours
mauvais car la volonté individuelle est égoïste.
Or Luther, issu d'un ordre où l'étude de saint Augustin
était primordiale, a choisi un augustinisme radical, plus
augustinien que saint Augustin, qui lui fait dire que l'homme est
toujours pécheur par lui-même mais toujours juste par
la foi du Christ qui lui est donnée. Pour Luther, après
la chute, la ressemblance divine est complètement effacée
en l'homme, celui-ci est sans force, complètement envahi
par la concupiscence (l'attirance invincible pour le mal). Il n'échappe
à la damnation que par le baptême, dans lequel le Christ
restaure la relation avec Dieu (la grâce) et lui donne sa
propre perfection quand " Dieu couvre notre nudité du
manteau du Christ ". Luther rabaisse donc la nature humaine,
mais c'est pour rappeler la gratuité de l'amour de Dieu et
de la grâce. D'autres réformateurs, dont Calvin, seront
moins radicaux sur ce point mais réaffirmeront la misère
de l'homme après la chute.
Le concile reprend les décisions du concile d'Orange (529),
fondées sur une exégèse parmi d'autres de Rm
5,12, pour dire que le péché originel s'est transmis
à toute la race d'Adam. Mais il affirme aussi que la grâce
efface toute trace de cet événement, à condition
que chaque homme lutte pour rester fidèle. Pour les pères
de Trente, si les hommes ont perdu en Adam la sainteté automatique
qu'ils étaient sur le point d'acquérir, les forces
de la nature sont amoindries et non perdues. Il suffit de les réveiller
avec l'aide du Christ. Le concile reprend à cet égard,
sans le dire, la position d'Érasme, qui avait rompu justement
sur ce point avec Luther, lors de la querelle du serf et du libre
arbitre, en 1523-1524.
Le complément naturel de ces positions du concile est le
décret sur la Justification, voté quelques mois plus
tard, le 13 janvier 1547. Au coeur de la controverse on trouve en
effet les réflexions sur la grâce, dans laquelle l'homme
pécheur est reconnu par Dieu. Pour Augustin et Luther, Dieu
donne la grâce gratuitement et l'homme n'a aucun pouvoir sur
elle, il peut seulement l'accepter ou la refuser. Elle seule permet
de faire des oeuvres bonnes. Pour les protestants, la foi sauve
sans les oeuvres. Mais les catholiques rechignent à s'en
remettre seulement à la justice divine, qui sauve l'homme
en dehors de lui-même, l'obligeant radicalement à faire
acte de confiance dans la miséricorde divine.
Le concile pourtant est divisé. Le légat Seripando,
par exemple, est favorable au salut par la foi seule, prôné
par les protestants. Comme la question n'a jamais été
discutée par un concile, on décide de lancer une vaste
enquête parmi les théologiens. Quatre d'entre eux sur
34, sont de l'avis de Seripando. Le décret s'appuie sur l'épître
aux Romains et sur un vaste dossier patristique, ce qui montre la
volonté des pères de se battre sur le terrain même
des protestants. Le résultat est un texte équilibré,
dont les quatre premiers chapitres restent dans une perspective
augustinienne. Mais le chapitre 5 insiste sur le fait que si dans
la justification Dieu a l'initiative, l'homme ne reste pas inactif
; il répond librement en acceptant et en recevant l'inspiration
de Dieu, la grâce toujours offerte. Il vit ainsi selon l'Esprit
et se libère en se tournant vers Dieu. Contre Luther, les
chapitres 9 à 11 affirment que la justification est "
le début d'un renouvellement de jour en jour, qui fait que
celui qui est juste sera encore justifié. Le juste est donc
imparfait mais ami de Dieu. Le concile affirme ainsi la valeur du
temps, la capacité de l'homme à progresser. Mieux
même, l'homme accomplit des oeuvres méritoires avec
l'aide du Christ, qui accompagne ses efforts en lui communiquant
sa propre force. Le concile reconnaît donc une valeur aux
actes humains, il insiste sur l'entraînement nécessaire,
sur la pédagogie de Dieu. Mais plusieurs problèmes
n'ont pu être réglés, par exemple, s'il peut
y avoir un mérite avant la justification (pour les non baptisés).
La notion de mérite elle-même est assez floue car on
ignore s'il y a un rapport entre l'effort et la récompense.
Ces oublis provoqueront les querelles du XVIIe siècle sur
la grâce, mais cette position nette sur la justification elle-même
marque de façon forte l'originalité catholique. Elle
appelle aussi une explication des modalités du compagnonnage
entre Dieu et le fidèle, au moyen des sacrements.
5. Un souci pastoral dans la définition des pratiques
Deux jours après le vote du décret sur la justification,
la question des sacrements est mise au programme. Les experts théologiens
consultés dressent à partir des oeuvres des grands
auteurs protestants une liste de 35 erreurs, dont la moitié
sur la notion même de sacrement. Le décret condamne
donc tout ce qui dans les recherches récentes allait contre
les usages catholiques romains. Il est voté très vite,
preuve à nouveau d'un consensus très large.
Les protestants avaient choisi de ne conserver que les sacrements
formellement attestés dans la Bible. Les pères conciliaires
décident de conserver le septenaireservant de base à
la catéchèse et mis en valeur par les grands auteurs
de la scolastique, Pierre Lombard et Thomas d'Aquin. La définition
du sacrement suit celle de saint Augustin : signe visible d'une
réalité (la grâce) invisible, qui conserve à
la fois l'idée de mystère, issue de la traduction
du grec et celle de rite symbolique.
Une suite de canons dresse une plate-forme systématique des
sacrements. Le baptême des hérétiques est reconnu,
car il prouve l'efficacité des sacrements indépendement
de celui qui les donne. La confirmation (onction par l'évêque)
est définie comme un vrai sacrement (contre Melanchthon).
Les autres sacrements sont discutés de façon parallèle
en 1547, mais les travaux sont perturbés par la conjoncture.
Un premier décret est voté sur l'Eucharistie. Face
aux protestants, les pères conciliaires sont soucieux de
défendre la Présence réelle du Christ dans
le pain et le vin et de dire comment cette présence est assurée.
Pour les catholiques, le Christ est présent tout entier dans
le pain et tout entier dans le vin. Pour expliquer les modalités
de la transformation au cours de la consécration, le concile
utilise le mot de transsubstantiation, que la scholastique avait
créé pour dire le passage d'une substance à
une autre (ce qui n'est possible que dans la physique d'Aristote).
Après la transsubstantiation, le Christ est objectivement
et réellement présent et sa présence demeure
en dehors de la consécration. Le concile veut à nouveau
défendre des pratiques de dévotion fort populaires.
Depuis la fin du XIVe siècle en effet, le culte eucharistique
ne fait que se développer et la Fête Dieu a dépassé
la splendeur liturgique de la Pentecôte en bien des endroits.
Désormais le culte eucharistique reçoit un nouvel
élan et devient un marqueur de la sensibilité catholique.
L'importance donnée à la réception de l'Eucharistie
a pour corollaire une réflexion sur le sacrement de pénitence.
Le décret sur la pénitence et l'Extrême-Onction
est voté le 25 novembre 1551. La pénitence demande
des actes pour être reconnue comme sacrement. La rémission
des péchés est accomplie quand trois conditions sont
réunies : la contrition (regret profond du péché),
la confession, la satisfaction (accomplisssement de la pénitence
imposée par le confesseur). Le concile insiste sur la "
confession intégrale " des péchés mortels,
ce qui suppose le développement de la pratique de l'examen
de conscience, fort élémentaire jusque là,
et de la direction de conscience. Même s'il est vrai que cette
dernière n'a intéressé qu'une mince élite,
l'habitude de l'examen de conscience marque profondément
les mentalités catholiques (voir l'excellent petit livre
de Jean Delumeau, L'aveu et le pardon. Les difficultés de
la confession XIIIe-XVIIIe siècles, Paris, 1990, qui démontre
l'intérêt de la casuistique, l'étude des cas
de conscience pour le développement de la psychologie). L'Extrême-Onction
(onction des malades) reste liée à la dernière
communion (Viatique) et à la dernière confession
Les sacrements de l'ordre et du mariage font l'objet d'âpres
discussions. Tous deux ont pour particularité d'imprimer
un état définitif pour celui qui le reçoit.
Pour Luther, la prêtrise n'est pas un sacrement mais seulement
un office, un service de la communauté et tous les chrétiens
sont prêtres pour eux-mêmes et pour les autres. Les
catholiques séparent donc le sacerdoce universel de tous
les fidèles et le sacerdoce ministériel qui donne
des pouvoirs spécifiques. L'ordre est un sacrement donné
par degrés, en fonction des services dans l'Église,
dont le sommet est le sacerdoce. La question était de savoir
si l'épiscopat était un ordre supplémentaire.
Le concile, divisé sur la question, n'a pas tranché
car les espagnols et les français tenaient à affirmer
contre le pape que tout évêque est évêque
de droit divin.
Les protestants, répondant à un grand débat
du début du XVIe siècle sur la grandeur du mariage
par rapport à la virginité, considèrent le
mariage comme une institution naturelle, dont le règlement
appartient au pouvoir civil. Le concile décide de combattre
le point de vue protestant, mais aussi les prétentions des
familles et des États, de lutter contre les " mariages
clandestins " c'est à dire faits sans le consentement
de l'Église. La polygamie est interdite et le mariage est
déclaré indissoluble. Les protestants admettaient
le divorce en cas d'adultère, d'hérésie, d'abandon
de domicile, selon Mt 5,32. Il y a donc une radicalisation des catholiques
à cet égard. Mais le concile insiste aussi sur la
défense des noces et de leur caractère public, c'est
à dire sur la fête. Il fait du consentement mutuel
le fondement du mariage. Le mariage est donc un contrat solennel
dont le rite central est le consentement et non la décision
des parents. Une telle position, qui sauvegarde le pouvoir des évêques
en la matière, va contre toutes les tendances du moment,
qui voulaient réserver la législation du mariage à
l'État.
En dépit de l'importance de ces décrets doctrinaux,
il ne faut pas oublier que le concile a discuté en parallèle
dogme et discipline. Un nombre considérable de décisions
renouvelle complètement l'image du clergé.
6. La réforme du clergé
plutôt que des laïcs
La réforme du clergé avait été tentée
ici et là bien avant la réunion du concile. Le concile
ne fait que suivre une aspiration générale, appuyée
sur une bonne expérience. Ce n'est pas que le clergé
du début du siècle fût particulièrement
indigne, contrairement à la légende, il ne semble
pas, par exemple, qu'il y ait eu beaucoup plus de prêtres
concubinaires que dans les générations précédentes,
mais les manquements choquent beaucoup plus qu'autrefois. On a beaucoup
critiqué ce clergé paillard, cumulard et trop souvent
absent. Or il ne faut pas se laisser prendre à ces critiques.
Les paroisses marchaient fort bien sans leur curé titulaire,
car celui-ci devait obligatoirement se payer un remplaçant,
qui était un prêtre du pays, plus proche des fidèles.
Le problème réside dans l'image de la charge d'âme,
rapportée au Christ. La priorité du concile est d'imposer
la résidence à ceux qui ont charge d'âmes. Le
pasteur doit en effet résider avec ses ouailles pour faire
son métier, car on ne peut donner un troupeau à un
mercenaire. Le pasteur est totalement assimilé au Bon Pasteur,
c'est à dire au Christ lui-même, il est responsable
sur son propre salut du salut de ses fidèles. Pour ce vieil
idéal pastoral, né au VIIe siècle, et diffusé
encore dans les écrits du pape Grégoire le Grand,
la charge pastorale est " l'art des arts " et rien ne
peut dépasser ce service dans l'Église : la fonction
de pasteur, qu'il soit curé, évêque ou abbé,
est un chemin de perfection.
Mais cet idéal se heurte depuis des siècles à
une réalité matérielle, qui est celle des revenus
du clergé. Depuis l'époque féodale, tout curé
dispose d'un bénéfice (charge avec revenu). Mais beaucoup
de bénéfices ne permettent pas aux curés et
évêques de vivre correctement (certains tendent donc
à accumuler les bénéfices et sont donc absents)
et surtout ce système ne permet pas de former le clergé
à sa tâche. Le problème de l'ignorance du clergé
est un thème récurrent depuis deux siècles.
Or il y a consensus pour estimer qu'on ne peut admettre à
une telle charge sans un examen sérieux des capacités
du candidat à enseigner, à administrer les sacrements,
à vivre dans la piété.
Pour résoudre cette question, le concile prévoit la
création de séminaires. L'idée, issue de toute
la recherche pédagogique du siècle précédent,
est qu'il faut former les adolescents avant qu'ils n'aient été
touchés par le vice. On prévoit donc de créer
une " pépinière " (c'est le sens premier
de séminaire) dans laquelle on formerait des jeunes de 12
ans sachant lire et écrire dans les disciplines ecclésiastiques.
Ils feront des études de grammaire, chant, comput, homélies
des saints et de tout ce qui est nécessaire pour donner les
sacrements. Ils seront aussi éduqués à la piété
en communiant (et se confessant) une fois par mois et ils rendront
service dans les églises les dimanche et fêtes. Le
concile prévoit que le financement de ces séminaires
appartient à l'évêque.
Le concile imagine donc une pépinière ou un vivier
de jeunes gens vertueux, promis au sacerdoce, plutôt qu'une
université dispensant un savoir comme c'est le cas pour les
protestants. Mais il s'agit plus d'un petit séminaire que
d'un séminaire comme on le mettra en place plus tard, vers
la fin du XVIIe siècle. Pendant longtemps, faute de ressources,
les séminaires ne serviront que quelques jours, au mieux
quelques semaines, pour former les candidats à l'ordination
. Or le concile n'a pas pu trouver une alternative au système
bénéficial. Pour longtemps encore, l'accès
au clergé ayant charge d'âmes sera réservé
à ceux dont les familles auront pu payer les études.
Le concile s'occupe du clergé qui vit sous une règle
de façon plus marginale. Il veut surtout renforcer le pouvoir
des évêques, qui désormais pourront visiter
les abbayes tous les ans. Le pouvoir du supérieur sur la
communauté est renforcé. Les religieuses ne pourront
vivre sans clôture. En fait, le problème était
culturel. La femme devait être mariée ou cloîtrée
pour être parfaite et faire son salut. Mais le cloître
pouvait aussi être un moyen d'échapper à la
violence de la société du temps, d'autant qu'à
l'intérieur des communautés, les supérieures
disposaient d'une très grande liberté. La grande nouveauté
est donc que le clergé régulier passe complètement
dans la main de l'évêque.
Par comparaison, le concile s'est très peu occupé
des fidèles. En dehors du mariage, on ne remarque qu'une
surveillance épiscopale accrue des fondations, ce qui suppose
la surveillance des notaires par les évêques. Ces derniers
surveilleront aussi les écoles, les hôpitaux, les confréries
et Monts de Piété (spécialisés dans
le prêt sur gage), alors même que nombre de ces institutions
avaient été fondées uniquement par des laïcs.
Cette montée du contrôle clérical est ancienne
et le concile n'y met que la dernière main. Elle est peut-être
l'une des causes du passage à la Réforme de nombre
de villes. En dehors de ce carcan répressif, le concile ne
s'occupe pas des laïcs, persuadé que de bons clercs
suffiront à assurer leur salut. On ne demande aux laïcs
que de faire confiance à l'Église.
Dans cette responsabilité cléricale réaffirmée,
l'évêque joue un rôle central. Le pouvoir épiscopal
est en effet précisé et renforcé tout au long
du concile.
III Les transformations
dans l'équilibre des pouvoirs
7. Le triomphe du pouvoir
épiscopal
Le concile de Trente est par excellence le concile des évêques.
Aussi sont-ils les premiers touchés par les mesures contre
le cumul des bénéfices ; selon un idéal ancien,
mis en avant par les évêques réformateurs du
début du siècle, l'évêque ne peut être
lui-même que s'il réside effectivement, s'il est pasteur
comme le Christ. Les évêques n'étaient plus
maîtres chez eux en raison des exemptions obtenues de la papauté
par les réguliers au fil du temps, en raison d'une mauvaise
emprise sur les bénéfices (dont l'évêque
n'est pas toujours le patron prioritaire) en raison aussi de la
mauvaise entente d'évêques étrangers au diocèse
avec les chapitres cathédraux. Toutes ces questions sont
résolues à un moment ou à un autre du concile.
Le concile décide que l'évêque du lieu seul
peut ordonner, et que les clercs qui veulent aller se faire ordonner
ailleurs doivent obtenir son autorisation (lettres dimissoires).
L'évêque possède le monopole de la prédication
et de l'enseignement dans son diocèse. L'évêque
peut visiter toute paroisse, même si elle appartient à
un ordre privilégié. Il peut poursuivre sans en référer
à son supérieur tout moine ou clerc régulier
délinquant. Les évêques enfin ne sont justiciables
que du pape, ce qui leur donne une indépendance certaine
par rapport aux pouvoirs monarchiques grandissants.
Le renforcement du pouvoir des évêques et continu au
cours du concile. En 1563, la question est de savoir à qui
appartiendra le droit d'interpréter les textes émis
: au pape, à qui les pères ont reconnu le pouvoir
de les promulguer ? ou bien aux évêques, par l'intermédiaire
de réunions périodiques ? Rien n'est prévu.
Le pouvoir d'appliquer le concile dépend du rapport de force
entre le pape et les évêques. Or le pouvoir du pape
sort renforcé du concile.
8. La papauté comme pouvoir exécutif du concile
A la dernière session, dans la joie du 4 décembre
1563, le cardinal de Lorraine, qui avait refusé quelques
mois auparavant de qualifier le pape de " pasteur de l'Église
universelle ", le fait acclamer comme " pontife de l'Église
universelle ". Il renforce ainsi, contre les traditions gallicanes,
le caractère universel de la papauté. Le chef de la
délégation française exprime ici le sentiment
unanime que la cohésion du concile, sa continuité
sont l'oeuvre des papes, qui ont su rassembler les énergies
et assurer le financement de l'opération. Mais il faut nuancer,
ce n'est pas donner au pape tous les pouvoirs : le cardinal-neveu
de Pie IV (son principal ministre), Charles Borromée, par
exemple, veut que le concile soit appliqué par le biais de
synodes provinciaux , ce qu'il fait lui-même dans son diocèse
de Milan, rédigeant à cette occasion des statuts qui
serviront de modèle à la Réforme catholique
pendant un siècle.
Mais les papes ont su conserver auprès d'eux les meilleurs
théologiens et nommer des légats particulièrement
efficaces. La Curie a depuis longtemps l'habitude de traiter des
problèmes complexes, elle est en relation avec toute la chrétienté
; Rome commence à redevenir le centre du monde, au moyen
des pèlerinages et devient la vitrine de toutes les réformes,
y compris artistiques. La qualité des papes est indéniable,
d'autant qu'eux seuls ont accès aux archives du concile.
Pie IV déjà a rédigé une profession
de foi pour unifier le catholicisme, l'ancien grand inquisiteur
Pie V transforme Rome en un cloître et unifie la liturgie
catholique, Grégoire XIII, l'un des grands canonistes experts
du concile, publie le droit canon révisé et réforme
le calendrier en 1582, ce qui prouve son ouverture scientifique.
Sixte Quint enfin réforme la Curie, réduit le nombre
de cardinaux et installe une imprimerie polyglotte au Vatican. De
1559 à 1590 se sont donc succédés quatre papes
exceptionnels par leurs capacités et leur volonté
d'appliquer le concile. Le prestige retrouvé de la papauté
n'a pas échappé au concile qui , ne pouvant tout régler
faute de temps, lui confie la charge de prolonger son action dans
plusieurs domaines.
C'est le pape qui promulgue les décrets, de façon
quasi-immédiate, sans réexamen, le 26 janvier 1564.
En juillet, il impose la mise en exécution immédiate
des décisions en février 1565, il révoque tous
les privilèges contraires aux décisions du concile.
Mais le pape prolonge aussi les décrets. Lorsque la 24e session
avait imposé une profession de foi aux bénéficiers
ayant charge d'âmes, c'est le pape qui la fait rédiger
et publier. Le concile avait confié au pape l'Index des livres
interdits, le catéchisme et la réforme liturgique.
Dès mars 1564, Pie IV publie l'Index du concile ; Pie V crée
en 1571 une congrégation pour le mettre à jour régulièrement
(jusqu'en 1957…).
L'idée de rédiger un catéchisme " pour
enfants et adultes illettrés " datait de 1546 et le
concile avait mis en place une commission ad hoc qui avait ébauché
la rédaction au moment de la clôture du concile. Le
pape nomme une commission pontificale qui comprend nombre de membres
de la commission conciliaire et le catéchisme du concile
de Trente, improprement appelé catéchisme romain,
sort en 1566. Il est très vite traduit dans toutes les langues,
il sera découpé en dialogues pour faciliter son assimilation.
Il s'agit d'un manuel pour les curés, afin qu'ils soient
capables d'expliquer clairement la doctrine. Les diocèses
à leur tour éditeront des catéchismes adaptés
aux enfants. Avec moins de bonheur, la papauté s'est chargée
de réviser la Vulgate. Sixte Quint, furieux que le travail
n'avance pas assez vite, décidait de la publier lui-même
en 1590. Sa mort brutale permit d'éviter les nombreuses erreurs
de cette édition. Le travail, repris par les Jésuites,
sous la direction de Bellarmin, aboutit en 1592 (d'où le
nom de Vulgate Sixto-clémentine qu'on lui donne). Cette activité
de publication montre que pour les papes comme pour la Curie, l'unification
du catholicisme et l'application des décrets passent par
le livre.
Très caractéristique est l'activité des papes
en matière de liturgie. Jusque là, la liturgie était
sous la responsabilité des évêques et des chapitres
cathédraux des diocèses. La base de toutes les liturgies
catholiques était la liturgie dite romano-gallicane, imposée
par Charlemagne, mais avec des possibilités d'adaptation
locales. L'imprimerie avait déjà provoqué une
unification spontanée en mettant en valeur les meilleurs
textes, rapidement imités. La commission romaine a corrigé
et toiletté les textes. Il ne s'agit pas d'une réforme
liturgique car le concile s'était prononcé contre
la liturgie en langue vulgaire. . Mais le pape ne se contente pas
de publier des livres. Il crée aussi, en 1588, la Congrégation
des Rites, un organisme permanent qui répond à toute
question et à tout problème liturgique. Ainsi l'emprise
du pape sur ce domaine est confortée.
Les papes ont surtout imposé le concile par la diplomatie,
en améliorant au passage leur représentation diplomatique
par la création des nonciatures permanentes, ancêtres
de nos modernes ambassades qui prévoyaient un personnel permanent
représentant Rome. L'adoption du concile ne posait pas de
problèmes dans les États italiens, au Portugal, en
Pologne. Mais dans l'Empire, le concile n'est accepté qu'avec
l'application de la communion au calice pour les laïcs et du
mariage des prêtres. Pie IV acceptera la communion sous les
deux espèces mais refusera le mariage des prêtres.
Pie V reviendra sur cette tolérance et la communion sous
les deux espèces disparaitra d'Autriche en 1584, de Hongrie
en 1604…
En Espagne, Philippe II avait refusé la clôture du
concile avant la mise en place d'une réforme de la Curie.
Il accepta les décrets, mais en se réservant leur
interprétation nationale. Dans la France des Guerres de Religion,
le concile ne pouvait être accepté comme une loi française.
Pourtant, contrairement à la légende, la France a
appliqué assez vite les décrets doctrinaux, de façon
informelle d'abord, puis après l'Assemblée du clergé
de Melun, en 1579, les décisions tridentines qui ne contredisaient
pas le droit français furent systématiquement mises
en application dans les diocèses, par le biais de synodes
provinciaux. La reprise de la guerre seule a brisé cet élan.
Conclusion
En réalité, le concile est adopté avec joie
par le clergé mais aussi par les intellectuels non schismatiques.
C'est premièrement la preuve que par delà des difficultés
politiques, il a su exprimer un consensus catholique, la preuve
que ses décisions correspondent aux attentes et aux sensibilités
du moment.
Deuxièmement, dans les difficultés de réception,
la forme de l'Église catholique de la Contre-Réforme
s'affirme rapidement, centralisée et bureaucratisée,
sous l'autorité pontificale. Alors que le concile lui-même
était le triomphe des évêques, on peut dire
que son application est le triomphe de la papauté. Et ce
triomphe tient aux conditions politiques du moment. La papauté
dispose d'un pouvoir centralisé et l'Église se conçoit
comme hiérarchique. L'application du concile s'inscrit ainsi
dans une forme politique correspondant aux philosophies du temps.
Le jésuite Robert Bellarmin, va donner la définition
de l'Église qui aura cours jusqu'au milieu du XXe siècle
: " l'Église est la société des fidèles
institués par Jésus Christ et gouvernée par
le pape et par les évêques, sous l'autorité
du pape ". Dans cette acception, la hiérarchie est un
ordre parfait, le même qui se développe d'ailleurs
dans les États européens. Cet ordre a aidé
à la construction de l'État moderne et à la
lutte contre l'anarchie féodale, avant de trouver lui-même
ses blocages. Mais pour Ignace de Loyola, l'Église n'est
pas seulement un régiment, elle est aussi un corps animé
par l'Esprit. C'est pourquoi le catholicisme a été
capable de surmonter l'absolutisme pontifical.
Troisièmement, le retour à l'unité est chrétiens
est abandonné par les catholiques comme il l'était
par les protestants depuis 1545. Réuni pour résoudre
le schisme, le concile de Trente entérine la division. Mais
pouvait-il faire autrement à cette date alors que les confessions
protestantes s'étaient constituées et placées
sur des positions tout aussi exclusives ? Chemin faisant, il a édifié
une Église catholique à l'écoute de la culture
de son temps, qui a résisté trop longtemps pour ne
pas avoir été parfaitement adapté aux questions
que posait la culture moderne. Les constructions tridentines dessineront
désormais un magnifique édifice, malgré l'autoritarisme
de la Curie, l'Index et le Saint-Office, mais avec la culture baroque,
cette culture de l'image, de la beauté et de l'émotion
qui lui appartiennent en propre et qui expliquent largement la fascination
encore exercée par Rome. La clôture du concile en 1563
ne permet aux participants que de le pressentir.
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