Madame Nicole LEMAITRE
Université Paris I Panthéon Sorbonne
Cours d'agregation d'histoire moderne:
Année académique 2002-2003

4. Inventer et progresser. Le primat des ingénieurs

I. La fascination pour la technique

 

II. Retour à l'antique ou critique de l'antiquité ?

 

III. L'ingénieur et l'alchimiste

 

4. Inventer et progresser. Le primat des ingénieurs


L'historiographie traditionnelle a beaucoup dit que la Renaissance est une période favorable aux inventions, à la différence du Moyen Age. Ce qui est complètement faux pour le Moyen Age. La Renaissance il est vrai est le temps de l'audace, l'âge des entrepreneurs comme dirait Hélène Vérin, même si le mot, très utilisé par Weber, n'a été inventé qu'au 18e siècle pour signifier la séparation des détenteurs du pouvoir de ceux du capital. Furetière définit l'entreprise comme " résolution hardie de faire quelque chose " et l'applique à deux domaines qui symbolisent justement notre période : l'architecte, le maître maçon qui ont construit Saint Pierre de Rome, ce qui suppose la maîtrise de métiers complexes, et l'homme de guerre car c'est un stratège. Or ces hommes nouveaux utilisent-ils des inventions nouvelles ?
Longtemps on en est resté au grand livre d'Alexandre Koyré, qui a installé l'idée d'une rupture de cette période, d'une révolution scientifique qui passe du " monde clos à l'univers infini " avec Copernic (1543). En fait, la question s'avère fort complexe et surtout sa chronologie n'est pas celle de l'histoire de l'art et malgré Eugenio Garin, qui refusait d'opposer culture scientifique et culture humaniste, l'histoire des sciences est bien mal servie encore. Que dire de la technique et de la science à notre époque ?
Cf Pour le mouvement scientifique, le Companion to the History of Modern Science, ed Olby, Cantor, Christie et Hodge, Londres, 1990, très éclaté et largement hors programme
Histoire générale des techniques,
Paolo Rossi, Les philosophes et les machines. 1400-1700, Paris, 1996 (1962)
Bertrand Gille, Les ingenieurs de la Renaissance, Paris, 1978.
Hélène Vérin, Entrepreneurs, entreprise. Histoire d'une idée, Paris, 1982 et La gloire des ingénieurs. L'intelligence technique du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, 1993. La thèse de Paul Benoît, Les mutations techniques et scientifiques de la fin du Moyen Age et de la Renaissance, th, Mfiche Lille III, 1994 et la table ronde du centre Alexandre Koyré " Renaissance des savoirs scientifiques et techniques ? " publié par la Nouvelle revue du XVIe siècle, 2002.
Pour comprendre ces problèmes, il faut comprendre ce qu'on entend par science et technique ou art comme on dit alors, quelle place on leur fait dans la connaissance. Or cette classification est exposée dans un opuscule à succès d'Ange Politien († 1492), le Panepistemon(l'omniscient). Un cours sur l'Ethique à Nicomaque d'Aristote, donné en 1490 à Florence. C'est une synthèse des traditions précédentes, une volonté d'encyclopédisme qui part du postulat que le savoir est clos, il n'est que la redécouverte de savoirs anciens oubliés, ce qui n'empêche pas un éloge des facultés humaine et de l'ingéniosité. L'idée d'un progrès continu est donc absent de cette approche, qui n'est conçue que comme un retour à l'origine et la mise à jour de savoirs déjà là. Un éternel retour mais qui n'empêche ni la quête, ni l'accumulation des savoirs et donc un certain progrès. Or on assiste bien à un mouvement d'expansion du savoir, conditionné par le livre et ses illustrations, surtout à la fin du siècle. En témoignera par exemple l'arborescence nouvelle des savoirs de Ramus (1515-1572). Or si en effet les sciences mathématiques et les sciences de la nature progressent très vite, leurs chercheurs ne sont pas ceux qui tiennent le haut du pavé. Les chercheurs connus de la Renaissance sont dans d'autres domaines : l'artillerie, l'architecture

I. La fascination pour la technique

La grande révolution en matière d'armement n'est pas l'usage du canon mais dans substitution du canon fondu au canon forgé. Or le canon est un art de géomètre car il faut savoir calculer exactement la taille des boulets et utiliser l'élévation pour atteindre la cible, donner des cotes précises au fondeur et au cannonier. La maîtrise ne sera acquise qu'après la parution de la Nuova scientia de Niccolo Tartuglia de Brescia en 1570 (cf Pascal Brioist dans la table ronde). Mais tout au long du siècle, mathématiciens et praticiens se sont affrontés pour comprendre et maîtriser l'effet des tirs de boulets. Les héros de cette période ne sont pas des savants mais des ingénieurs qui tentent de concevoir comment les arts mécaniques peuvent se régler selon les mathématiques.
L'engignour est en effet un concept médiéval, qui désigne celui qui est doué d'engin (d'esprit, d'intelligence) et met en œuvre son engin (son invention) parce qu'il produit des engins (machines, instruments)Le mot d'ingénieur apparaîtra en 1556 en français. Mais l'idée est déjà là avec trois niveaux de sens : des capacités qui le distinguent, une activité qu'il déploie et ce qu'il réalise. Au Moyen Age le mot ne s'applique qu'au constructeur d'engins de guerre. A Urbino puis à Sienne déjà, Francesco Di Giorgio (1438-1501) développe des engins de guerre autant que des mécaniques industrielles, architecturales ou festives. Cf Paolo Galluzzi, Prima di Leonardo. La cultura delle macchine a Siena nel Rinascimento, expo Sienne, 1991 (BU SC 4=65.
Les Italiens vont le développer, ainsi pour Léonard celui qui est architecte, fondeur, sculpteur, appelé à Milan en 1482 par Ludovic Sforza qui vient de s'emparer de Milan, non pas d'abord comme peintre mais comme ingénieur. C'est là qu'il dessine sur ses carnets ses fameuses machines et refléchit au mouvement de l'eau. Ce toscan éduqué à toutes les techniques dans l'academie de Verocchio à Florence, ne conçoit pas de réflexion sans mathématiques. Il a touché à tout le savoir mais il a surtout aimé construire des machines et porté une attention particulière aux instruments de mesure. Il recopie avec soin les modèles existants pour les étudier et les perfectionner, par exemple les grues et palans de Brunelleschi. Leonard a considéré la technologie comme un accomplissement majeur de l'homme.
Il a mis au point une machine à tricoter la soie qui n'a pas eu d'avenir mais qui accompagne le développement de la bonnetterie (tissus tricotés et non tissés) à partir des années 1500. Ceci suppose que l'idée d'automatisme est dans l'air mais il n'est pas allé jusqu'à organiser une entreprise.
Les progrès les plus spectaculaires sont ceux de la mesure du temps. Le temps des marchands, précis à intervalles réguliers quelle que soit la saison, déconnecté du soleil, remplace le temps de l'Eglise fondé sur l'alternance du jour et de la nuit et mesuré à l'aide de clepsydres dans les monastères médiévaux. Les premières horloges mécaniques datent du XIVe siècle grâce à l'invention de l'échappement. L'invention du ressort vers 1460 les rend portatives : Louis XI, comme Ludovic le More, disposaient d'une horloge de table. Vers 1500 ; l'horloger de Nuremberg, Peter Henlen, commence à fabriquer des montres de poche les " œufs de Nuremberg ". Pour améliorer la constance de la marche on invente enfin le régulateur au milieu du 16e siècle. Au XVIe siècle, les horloges qui ne comptent qu'une aiguille, ne sont encore précises qu'à la demi heure près, mais l'important est la maîtrise de la mécanique de précision qu'elles supposent. Les orfèvres en tous métaux sont à l'origine de ces progrès, comme pour l'imprimerie, ce qui suppose une avancée de la métallurgie.
La quête des métaux non ferreux rendit ingenieux également. En Europe, les mines, jusque là mal exploitées en raison des inondations de galeries bénéficient de pompes et on inventa le bocard, une machine à pilonner le minerais d'argent dans un courant d'eau, observé pour la première fois à la mine de Samson à Ste Croix aux mines (Haut-Rhin) et qu'on retrouve dans le livre d'Agricola (De re metallica) cf conclusions du colloque de Paul Benoit, Mines et métallurgie, Paris, 1994. Dès 1527, à Chemnitz, on sait creuser les galeries à la poudre. L'extraction de l'argent, mélangé au plomb ou au cuivre fait des progrès fulgurants grâce à l'alchimie. On savait que le plomb fondait en premier et se mettait à la surface, par exemple. Mais le grand événement est l'amalgame, introduit par les allemands en Espagne et transporté au Nouveau monde en 1557. Le minerais, broyé au marteau ou pilon hydraulique, mélangé à du sel, du vitriol et du mercure, passe à travers un tamis de toile de cuivre qui sépare l'argent, mêlé au mercure, des impuretés. Le mercure est ensuite récupéré. Ceci suppose l'organisation de véritables usines intégrées, là où un groupe de mineurs se contentait de travailler de façon individuelle. Le succès du De Re metallica doit beaucoup à l'imprimerie, mais les mines ont été dessinées bien avant pour faciliter cette culture de l'intégration industrielle : les dessins de Heinrich Groff de la mine de plomb argentifère de St Nicolas de La Croix aux Mines en val St-Dié (Lorraine) est tout aussi explicite. Ces dessins, offerts au duc Antoine de Lorraine, le propriétaire, vers 1530 sont de même nature. Cf Mss Ecole des Beaux Arts Paris, 25 f. utilisés dans BT. Bibliothèque de Travail (Freinet), 1996. Ed. E. Brugerolles et al., La mine mode d'emploi. La rouge myne de Sainct nicolas de la croix dessinée par Heinrich Groff, Découvertes Gallimard Albums, Paris, 1992. Cf diapo
Toutefois, ce sont les besoins de l'armement en fer et bronze qui provoquent le passage de la métallurgie à des techniques quasi industrielles même si les hauts fourneaux, nés quelque part entre Liège et le Rhin au XIVe siècle sont encore rares. L'art de la guerre, c'est l'art de forger des canons mais aussi de fabriquer des fortifications qui y résistent et surtout de prévoir et d'organiser, la logistique en somme. Pour toute la période, l'ingénieur militaire est d'abord un officier, un mathématicien capable de conduire un projet sur place, par la réflexion et par l'action, bref, de " veoir et adviser " en bon manager (entrepreneur). Or mathématiser la nature anticipe totalement la modernité des siècles à venir.
Dürer est dans la même veine quand il mathématise les proportions du corps humain dans son Instruction pour la mensuration avec la règle et le compas en 1525 (cf. Introduction sur la manière de mesurer, tr. et intro. J. Bardy et M. Van Peene, paris, 1995).

II. Retour à l'antique ou critique de l'antiquité ?

Stephen Pumfrey, " The history of science and the Renaissance science of history ", in Science, culture and popular belief in Renaissance Europe, Manchester, 1991, p. 48-70.
Les jeunes loups de la Renaissance affirmaient au début du 15e siècle que l'astronomie ptolémaique, la rhétorique cicéronienne et le droit justinien étaient de meilleure qualité que ce qui avait été réalisé ensuite. Ceci supposait une pensée du déclin permanent, au mieux, une pensée cyclique de l'éternel recommencement. Ils voulaient restaurer la sagesse ancienne et non inventer du nouveau. Lorsque paraissent en 1543 le Des révolutions des spères celestes de Copernic et De la structure du corps humain de Vésale, qui marquent le début de la révolution scientifique, il y a autant de volonté de conserver que d'inventer. Copernic critique en partie Ptolemée en prétendant utiliser d'autres mathématiciens classiques. De même, Galien est contesté par les découvertes anatomiques, mais c'est parce que ses textes sont sensés avoir été corrompus par les copistes au fil du temps. Mais plus les humanistes restituent l'Antiquité et plus ils se rendent compte qu'ils restituent des ruines. Platonisme et aristotélisme s'opposent alors comme ils le font dans les fresques de Raphael au Vatican, avec, dans un premier temps un primat évident donné à Platon et surtout au platonisme, plus assimilable par le christianisme. Copernic lui-même renvoie à la sagesse d'Hermès. Là-dessus vont jouer au XVIe siècle les radicalismes religieux et nationaux.
En fait, l'évolution scientifique s'est faite en deux temps par exemple en matière minière. Un temps de restauration humaniste des anciens avec l'édition d'Euclide, indispensable à la théorisation du monde, et un temps d'expérimentation surtout après 1550 cf figure centrale de Georg Agricola, éditeur de Galien puis du De re metallica. Le livre, avec l'amélioration des gravures, sur bois puis sur cuivre, joue un rôle fondamental dans ces deux périodes.
On parle de Révolution copernicienne pour exprimer la modernisation de l'astronomie. Le chanoine de Cracovie Nicholas Corpernic (1473-1543), a montré le premier, à l'aide des mathématiques, que la terre n'est pas stable au centre du cosmos mais qu'elle tourne autour du soleil. Mais il faudra les observations de Kepler, Galilée et Newton au XVIIe siècle pour que la chose soit admise. Pourquoi cette lenteur ? Pas à cause du procès de Galilée et de l'attitude du pouvoir religieux, pas seulement. Mais parce que ces déductions mathématiques contredisent à la fois Ptolemée et Aristote. En portant plus loin les principes mathématiques de Ptolémée, Corpernic déstabilisait l'espace de l'Antiquité. Tout ce que pensaient les grecs ou les hébreux du ciel est remis en cause, or les grecs sont pour un homme de la Renaissance ceux qui possèdent la plus ancienne culture, donc la plus vénérable ; pour les humanistes aussi bien que pour les théologiens (y compris luthériens, comme Osiander). Il n'est pas très étonnant que Copernic n'ait pas été reçu. Publié à la veille de sa mort, il ne revient à la mode que lors des reflexions sur l'année qui vont mener à la réforme du calendrier Julien en 1585. La révolution scientifique est donc pour plus tard.


III. L'ingénieur et l'alchimiste

Un homme comme Léonard manifeste qu'il n'y a pas d'opposition entre humanistes et artisans. Mais pour autant, ce ne sont pas nos hommes de science modernes. Lorsque Agricola sort son De re metallica en 1556, il ne sait pas qu'il deviendra tardivement la " Bible de Potosi ", mais il affirme que sa technique n'a rien à voir avec l'alchimie. Son précurseur, Baringuccio, qui avait publié à Venise en 1540 une Pirotechnia, le premier livre imprimé de métallurgie séparait lui aussi magie et technique et refusait l'alchimie. Il y a donc eu débat. Si on appelle souvent l'alchimie " Grand œuvre " au XVIe siècle, c'est bien qu'elle est considérée comme un art. La séparation entre technique et alchimie n'a rien d'évident chez la plupart des humanistes, malgré les cas remarquables dont on vient de parler et qui anticipent une conception moderne, plus mathématique et plus critique de la science.
L'alchimie occidentale était en effet dès l'origine, vers le 10e siècle, sous l'influence arabe, une science de forgeron capable de transmuter les métaux en fusion, avant d'être une quête philosophique et mystique " la pierre philosophale ", elle même à l'origine de pouvoirs magiques sur le monde. Mais le médecin suisse Paracelse, par exemple (v.1493-1541), y recherche les vertus cachées des produits de la nature pour en faire des remèdes et donc il applique la chimie pour guérir (magie blanche) et non plus pour mettre la main sur les forces naturelles. La médecine de Paracelse, la plus " hermétique " de tous, avait pour fondements la correspondance entre le monde extérieur (macrocosme) et les différentes parties du corps humain (microcosme).
La Renaissance ne remet pas en cause les pratiques magiques médiévales. Au contraire. Dans les milieux intellectuels, l'hermétisme favorise la démarche magique. Je rappelle ce qu'on entend par magie : un ensemble de techniques (gestes et paroles) rigoureuses pour contrôler l'homme et la nature, fondées sur l'idée fort ancienne que tout correspond entre l'homme et le cosmos, entre le ciel et la terre, entre la nature et la culture. Donc tout agit sur tout. Par exemple on estime que Dieu a créé des signes qui permettent de relier toute chose. La couleur, la forme d'une plante ou d'une pierre ont la propriété de guérir un organe malade quand elles lui ressemblent : la pulmonaire est bonne pour le poumon et la consoude resoude les os. Le tournesol a un pouvoir sur le soleil. C'est la théorie des signatures que l'édition de planches botaniques permet de développer, par exemple les œuvres du napolitain Jean Baptiste Della Porta. En général, la magie est fondée sur le corpus hermétique, un ensemble de textes néo-platoniciens attribués à Hermes Trismégiste et qui transportent tous les savoirs du monde depuis l'Egypte, ou bien sur le corpus chaldéen de Zoroastre ; elle est un art au sens contemporain du terme. Pour nombre d'humanistes, Hermès, Zoroastre et Moïse tiennent leur pouvoir directement de Dieu. Cf F. Yates
Si plusieurs aspects de la magie semblent ne jouer aucun rôle dans le développement scientifique (magie démoniaque, cabbale, chiromancie…) d'autres semblent importants car ils développent une forme particulière de rationalité (Copernic, Kepler… ont cru en l'effet des astres sur les hommes) ou parce qu'ils poussent à l'expérimentation. Pour un humaniste comme Jérôme Cardan 1501-1576, qui publie en 1545 son Ars magna, les chiffres sont magiques et donc les mathématiques permettent de contrôler le monde en trouvant ses harmonies, et nous savons qu'elles l'expliquent en effet à partir de Galilée et de Newton.
Science, technique et magie ne sont déjà séparés que pour quelques marginaux, même si ce sont eux qui édifient l'avenir. Il n'en demeure pas moins que les spéculations astrologiques servent, par exemple, les revendications françaises sur l'Italie ou les discours de Luther ; les prophéties sont rédigées par les universitaires les plus savants et deviennent un média comme un autre des propagandes politiques ou religieuses (c'est la même chose). La naissance en Saxe de monstres sert par exemple de base à des pamphlets luthériens en 1522 : l'âne pape et le veau moine (broch. p. 192)

La Renaissance est un temps de création technique certes, mais est-elle un temps d'innovation ? Cette question qui est posée pour une autre période, le XIXe siècle, par Michel Lagrée dans sa conclusion La bénédiction de Prométhée. Religion et technologie, doit être examinée de près pour notre époque. Qu'est ce qui fait courir les inventeurs en dehors de la guerre et de l'argent ? La création gratuite, pour le plaisir d'inventer, n'existe pas, sauf peut être chez Leonard, et encore : ses machines servent pour les fêtes et non pour augmenter le pouvoir humain sur le monde.
La création technique fait-elle reculer la magie ? Ici, contre Marguerite Yourcenar, l'œuvre au noir, il faut affirmer que non et renvoyer aux positions d'Ambroise Paré sur les monstres et de Jean Bodin sur les sorcières. Les plus rationnels des hommes sont souvent les plus imprégnés de magie, elle-même ayant d'ailleurs sa rationalité. Il faut attendre la bulle de Sixte V, Coeli et terrae en 1586 pour que la divination soit totalement bannie du christianisme et que l'astrologie soit séparée de la théologie. Notre distinction entre rationnel et irrationnel est inadéquate pour comprendre l'approche du monde et de la nature par les hommes de ce temps. Comme nous, il mathématisent volontiers, mais les chiffres ont un rôle magique bien plus que logique, ils permettent (avec la musique) d'accéder à l'harmonie universelle et non de maîtriser le cosmos.
Ne jamais oublier qu'en contexte platonicien, l'innovation a mauvaise presse. Mais pas l'ingéniosité. L'expression du génie humain est donc admise, du moment qu'elle ne fait pas rupture avec l'ordre social ou professionnel, ce qui limite singulièrement l'impact de l'inventivité de la Renaissance, plus proche du Moyen Age que du XIXe siècle malgré ce que pensait Michelet.
Restent les artistes humanistes. Mais le mot artista n'existe pas encore et Vasari dédie son recueil aux artefici del disegno " aux praticiens des arts visuels " à ces techniciens qui savent transformer en dessin les artes mechanicae, mais aussi à l'artifex, l'artifex polytechnes, celui qui crée à partir de rien en utilisant les techniques de plusieurs domaines. Est-ce là, du côté de l'artiste, que se trouve l'invention de la Renaissance ?