Madame
Nicole LEMAITRE
Université Paris I Panthéon Sorbonne
Cours d'agregation
d'histoire
Année académique
2002-2003
5. La Renaissance,
une esthétique nouvelle ?
I.
L'exaltation de l'architecte
II.
Des foyers italiens classiques vers toute l'Europe
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5.
La Renaissance, une esthétique nouvelle ?
Spontanément, nous associons en français la R à
une période de l'histoire de l'art, à des chefs d'œuvres
mais aussi à des formes architecturales qui s'imposent encore
aujourd'hui dans le paysage, des châteaux de la Loire au Kremlin
de Moscou. Pourtant, il ne faut pas imaginer que le décor
vital des hommes de ce temps change brutalement et du tout au tout.
Le domaine des formes et des couleurs est typique de ces adaptations
infinies dont nous avons déjà parlé. Adaptations
locales sur une basse continue pourtant, qui donne un air de famille,
immédiatement lisible, aux bâtiments et aux décors
de ce temps.
Mieux encore, si nous sommes tellement sensibles à cette
architecture, c'est que la Renaissance instaure un discours théorique
sur le monde bâti et la ville. Françoise Choay, La
règle et le modèle. Sur la théorie de l'architecture
et de l'urbanisme, Paris, 1996 (2e éd. reprise) a montré
que toutes les théories d'urbanisme actuelles proviennent
de deux livres " inauguraux ", le De re aedificatoria
d'Alberti (1452) et l'Utopie de Thomas More (1516) pour lequel l'espace
bâti ne vaut que contrôlé par les pouvoirs et,
plus encore, contrôlant les groupes sociaux. Là est
en partie notre lien secret avec la Renaissance. Cette volonté
de régler l'espace tranche en effet avec la ville médiévale,
nous y reviendrons, mais aussi avec la ville islamique. Vouloir
bâtir avec logique cache aussi la volonté d'imposer,
par les mathématiques, une société idéale,
un modèle. Bref la prétendue rationalité occidentale
est toute entière ici, même si aucune ville utopique
n'a été réellement édifiée à
cette époque.
Derrière les théories architecturales, il y a des
hommes. C'est alors que naît le mot d'architecte, dont l'origine
grecque renvoie à l'humanisme. Nous leur devons l'exaltation
du bâtir comme processus créateur. La reconnaissance
officielle de l'architecture est une caractéristique de la
Renaissance. C'est alors que l'œuvre architecturale est perçue
comme la plus durable et la plus spectaculaire ; elle est la création
absolue. Elle naît en Italie sur les principes de retour à
l'antiquité que nous connaissons bien, or les témoins
antiques sont encore nombreux et l'architecte est celui qui peut
le faire renaître. L'architecture théorique ou pratique
a su donc imprimer une marque, un style, à ces temps. Nous
tenterons de comprendre pourquoi à travers l'aventure des
architectes. La grammaire de ce style s'est élaborée
en Italie, mais elle a été imitée et transformée
dans toute l'Europe. Nous tenterons de comprendre les raisons italiennes
et les adaptations européennes.
Cf Jestaz
JM Perouse de Montclos
A. CHASTEL, " L'artiste ", dans E. Garin, L'homme de la
R.
I. L'exaltation de l'architecte
La
connaissance de l'antique est une spécialité humaniste
et l'architecture une science d'ingénieur. Chacun peut regarder
et prendre ce qu'il voit des " poudreuses ruines " (Du
Bellay), mais chacun peut aussi puiser dans les traités.
Celui de Vitruve fut longtemps le modèle absolu, une Bible,
éditée dès 1486 puis illustré en 1511
par Fra Giocondo, commenté en italien par Cesariano en 1521,
en espagnol par Sagredo en 1526, en français par Jean Martin,
sre du cardinal Lenoncourt en 1547… C'est Vitruve qui le premier
avait évoqué, au temps d'Auguste les ouvrages des
barbares germaniques qu'il fallait repousser. Mais son latin est
parfois obscur et ses théories incomplètes et les
Annotations en latin (1552) de Guillaume Philandrier, le secrétaire
de Georges d'Armagnac, n'y changent rien (éditées
et étudiées par Frédérique Lemerle,
2000). Vitruve n'est qu'un compilateur et les vestiges visibles
les plus anciens de l'architecture romaine (arc de Titus…) ont été
édifiés 70 ans plus tard. La critique de Vitruve ne
commence qu'avec Sebastiano Serlio (†v1555), qui trouve que ses
théories sont parfois contredites par la pratique et que
ce qu'on observe à Rome est en ruines et mal proportionné.
Le premier humaniste à avoir voulu traiter de toute l'architecture
est donc Alberti ( De re aedificatoria), 1452, très lu par
les lettrés mais peu par les architectes, imprimé
en 1486 et traduit en italien en 1550. Déjà Alberti
a fait un Vitruve moderne à destination des humanistes et
non des maçons, bien plus que suivi Vitruve pour restituer
l'Antiquité. Ensuite, nombre d'architectes écrivent
mais sans être vraiment lus. C'est Serlio, plus théoricien
et utopiste que praticien qui eut le plus de succès. Il inspirera
le Livre d'architecture de Jacques Androuet Du Cerceau puis Palladio
dans la 2de moitié du 16e.
Les manuels des ordres sont plus destinés aux praticiens
que les spéculations précédentes : le premier
de ce type est publié par Diego de Sagredo en 1526 en Espagne,
puis Serlio (4e livre ou Règles générales d'architecture
en 1537), puis le plus pratique, qui détrône les autres,
Vignole, la Règle des 5 ordres en 1562. Diapo Serlio (toscan,
dorique, ionique, composite avec leurs proportions). L'abondance
de cette littérature théorique aurait pu bloquer les
processus créatifs, mais il n'en est rien. En dehors des
ordres, les traités n'inspirent jamais directement les œuvres,
ils donnent seulement l'air du temps et créent une sorte
de consensus commun, édifié par le livre imprimé,
fondé d'abord sur Vitruve et sur ses commentaires puis sur
Alberti et enfin sur Vignole.
L'architecture est donc internationale, mais c'était déjà
le cas avec le gothique et ce sera vrai pour le baroque. Il n'y
a donc là rien d'original. Ce qui l'est plus, c'est la manière
dont on pense les formes. Pour la première fois, le style
des constructions ne dépend pas de contraintes techniques
(l'architecture gothique était définie par l'arc brisé,
plus résistant que le plein cintre) mais il procède
d'une pensée mathématique, qui définit d'abord
une abstraction. D'un temps à l'autre (ils se superposent
à notre époque, car on a continué à
construire gothique jusqu'au milieu du 16e siècle), le primat
culturel passe du maître mâçon, habile détenteur
des secrets qui font passer du plan au sol à l'élévation,
à l'architecte calculateur, qui dessine et met en perspective
sur sa feuille de papier. Le modèle est encore Léonard,
qui couvrait ses cahiers d'architectures imaginaires.
L'architecture est devenue pour le prince un art majeur. Le pouvoir
de la pierre qui impose l'autorité revient désormais
en force. Le préambule de l'engagement de Luciano Laurana
par Frédéric de Montefeltro en 1468 est déjà
sans équivoque :
Nous estimons qu'il convient de couvrir d'honneur et de louanges
les hommes dotés de talent et de qualités, surtout
celles qui ont toujours été appréciées
par les anciens et les modernes, comme la capacité de construire
en se fondant sur l'arithmétique et la géométrie
; ce sont là des parties essentielles des sept arts libéraux,
en raison de leur certitude immédiate, activité exigeant
grand savoir et grand talent, pour laquelle nous avons la plus flatteuse
estime.
La raison d'être de l'architecture, sa virtù, est la
fondation mathématique, sa référence est l'antiquité.
Le monopole du savoir n'appartient plus au quadrivium universitaire
mais à ceux qui ont l'ingegno et la virtù nécessaire
pour faire du nouveau. Désormais tous les pouvoirs définissent
leur image publique par des entreprises d'architecture.
Comment est né l'architecte ? Dans ce métier, on vient
de tous les autres car les autres métiers artistiques y convergent,
les premiers sont des orfèvres : Brunelleschi et Michelozzo.
Beaucoup de peintres maîtrisant le dessin comme Leonard sont
venus ensuite : Raphael et son disciple Jules Romain (Té
Mantoue), Vasari, Serlio et, en Espagne, Machuco (Palais CV à
Grenade). Nombre de sculpteurs aussi : Donatello à Florence,
Michel Ange à Florence puis Rome, Sansovino à Venise,
Philibert de L'Orme en France. Mais des maîtres mâçons
comme Alberti ou Lescot ont aussi réussi et surtout, des
menuisiers réalisateurs de modèles comme Antonio Ciaccheri
qui construisit les modèles de Brunelleschi, Giuliano Da
Sangallo et Dominique de Cortone, qui donna le premier modèle
de Chambord.
L'architecte se sépare peu à peu de l'entrepreneur
maître mâçon, mais aussi, et plus difficilement,
de l'ingénieur (qui reste en usage en Lombardie, cf G. Agnelli/Fiat).
Il commence à signer ses œuvres mais il reste au service
du prince et constitue donc une strate nouvelle de la domesticité
aulique. Philibert De Lorme était aumônier du roi Henri
II, par exemple.
Selon J.-M. Pérouse de Montclos, Histoire de l'architecture
française, 1989, l'invention de l'architecture à la
française ne vient, brutalement, que vers 1540-1559 et correspond
à l'invention de la défense de la langue française.
Le roi est donc totalement impliqué dans les évolutions
de la pierre et de la langue et l'architecte n'est rien sans la
volonté du pouvoir, De Lorme sera d'ailleurs disgrâcié
après la mort de son roi.. Mais nous y reviendrons.
Un nouveau langage des formes
On condamne désormais la construction sans règle,
on demande un savoir élevé, mathématique, l'art
veut devenir une science rigoureuse. Quels sont les principes de
ce nouveau langage plastique, sensible dans les bâtiments
nouveaux mais surtout dans les décors éphémères
ou les arrière-plans de la peinture ?
Le plan régulier, tracé à la règle,
à l'équerre et au compas. Alors que le Moyen Age s'adaptait
au terrain. Dès son traité rédigé entre
1461 et 1464, Filarete propose des plans géométriques.
Cf son plan de l'Ospedale maggiore de Milan, daté de 1456.
La Renaissance, c'est donc des façades rectilignes et des
raccords à angle droit. (pas une révolution en Italie,
mais bien en France où les bâtiments droits sont juxtaposés
à des bâtiments irréguliers (Amboise, Blois,
Fontainebleau…) ou en Allemagne où l'irrégularité
des cours est la règle, à Heidelberg, Munich ou Dresde
par exemple. Les créations sont orthogonales ou parfois rondes
(cercle inscrit dans carré) comme la cour circulaire du palais
de Charles V à Grenade (Pedro Machuco)
Second principe, l'égalité des travées de pilastres.
Au palais Rucellai de Florence, Alberti en a donné en 1455
le premier exemple, mais aussi la façade de l'hôpital
des Innocents de Brunelleschi et la façade du palais des
Medicis de Michelozzo. Le principe ne sera vraiment appliqué
en France et en Allemagne qu'à partir du milieu du XVIe,
en raison du goût pour les escalliers à vis (Fontainebleau,
Ecouen) et pour les demi-croisées.
Troisième principe, l'allignement des baies, que l'escalier
à vis perturbe également. On construit ensuite des
escaliers à l'italienne (droits) mais en façade, ce
qui ne résoud pas le problème. Léonard le résoud
à Chambord par l'escalier tournant, qui permet d'éclairer
au même niveau que l'étage d'habitation.
Quatrième principe, la symétrie, qui fait passer les
églises de la croix latine à la croix grecque et qui
favorise le plan carré ou rectangulaire, dont Serlio fera
un principe directeur de tous les modèles d'architecture
civile.
Cinquième principe, l'entrée d'axe, au milieu d'une
travée qui va favoriser le développement du corps
de façade en pavillon distinct avec un décor particulier,
comme Anet (De Lorme), le palais de la chancellerie de Grenade ou
l'Alcazar de Tolède.
Sixième et dernier principe, le respect des proportions recherchées
par le calcul selon les proportions harmoniques élaborées
par Pythagore et qui sont sensées, en architecture comme
en musique, en dessin comme en typographie, reproduire l'harmonie
du monde : le passage de l'unité au double et au triple selon
Platon. Palladio architecte de Vicence mais aussi humaniste vénitien
établit entre les dimensions un rapport soit arithmétique
(6/9/12) soit Géométrique (4/6/9) soit harmonique
(6/8/12)- 6 est séparé de 8 par son tiers, comme 12
de 8).
L'élément le plus caractéristique du décor
est la colonne (et le pilastre, colonne aplatie, plaquée
sur le mur) dont le fût est galbé (correcteur par rapport
à l'œil). Elle repose sur un piédestal et est surmontée
par un chapiteau portant un entablement horizontal composé
de trois éléments : l'architrave, une frise et une
corniche saillante. Pour le MA les colonnes ne servaient qu'à
porter les arcs et l'entablement avait disparu. Le premier modèle
est la façade de l'hôpital des Innocents (1421) où
Brunelleschi crée un portique de colonnes encadré
de pilastres cannelés auxquels il fait porter un entablement
continu.
Les proportions des colonnes varient en fonction de leurs ornements
(bases, chapiteaux et entablement) et reçoivent le nom d'ordre.
Les ordres sont superposés sur les façades pour éviter
l'impression visuelle de tassement. Aux trois ordres issus de l'imitation
de l'antiquité : dorique, ionique, corinthien, les romains
ajoutent le toscan et le composite.
L'ordre dorique, le plus robuste, se caractérise par un chapiteau
sans ornement et par un entablement composé d'une architrave
simple et de panneaux étroits à triple cannelure (triglyphes
alternant avec les métopes) et une corniche portée
par de simples consoles cubiques. Le toscan en est une variante,
plus trapue et plus sobre, sans triglyphes ni métopes. L'ordre
ionique comprend un chapiteau à deux volutes et un entablement
comportant une frise sculptée continue au dessus de l'architrave.
L'ordre corinthien comprend un chapiteau représentant une
corbeille couverte de feuilles d'acanthe. Le composite combine la
corbeille du corinthien et les volutes de l'ionique.
Mais il faut attendre Vignole en 1562 pour que la règle des
cinq ordres devienne un dogme avec des proportions fixées
à partir d'un module commun : le toscan en fait 7, le dorique
8, l'ionique 9, le corinthien et le composite 10. Le toscan est
réservé à des emplois frustres, le dorique
au rez de chaussée, l'ionique au premier étage et
le corinthien ou composite au second. Le premier à avoir
appliqué ces normes de façon systématique est
Bramante au Vatican, aile de la cour St Damase où Raphael
ajoute une loggia de colonnes puis on le trouve au palais Farnèse
(diapo), au cloître du couvent de la Carità de Venise
(Palladio) et enfin au Louvre de Pierre Lescot (diapo). Mais rien
n'interdit d'utiliser du corinthien au rez de chaussée et
de le surmonter d'un autre corinthien ou de toscan, comme a fait
Primatice à Fontainebleau. Bramante donne aussi l'exemple
de façade où l'étage noble seul est pourvu
d'un ordre, généralement corinthien, le plus élégant,
surmontant une maçonnerie en bossage. On peut aussi donner
une hauteur égale à deux étages de l'édifice,
l'ordre colossal, pour les façades magestueuses comme le
palais des conservateurs au Capitole à Rome (Michel Ange),
le palais du Té à Mantoue (Jules Romain). Le portique
de colonnes colossales surmontées d'un fronton (temples)
est largement utilisé, en particulier par Palladio à
Venise. Mais bien des grands palais se passent de tout ordre (Médicis,
Pitti et Strozzi à Florence), les façades extérieures
du Louvre de Lescot, la Lonja de Saragosse, le château d'Aschaffenburg.
La Renaissance réintroduit aussi la voûte lisse en
pendentifs et surtout la coupole sur pendentifs puis sur tambour,
pour éclairer, et la surmonte d'une lanterne pour faire pénétrer
également la lumière. Modèle est Brunelleschi
à Florence.
L'ornementation antique, souvent des motifs géométriques
ou naturalistes, des moulurations en relief, est rétablie,
mais la plus spectaculaire est l'usage du bossage, qui devient très
courant dans les rez de chaussée des palais florentins avec
des variantes de moellons rugueux ou spongieux, en pointe de diamant
(Ferrare par Biaggo Rossetti) ou verniculé comme à
la grande galerie du Louvre.
Tous ces bâtiments civils et religieux ont un air de famille
dans l'allure, tout en gardant beaucoup de différences dans
le détail, preuve d'une adaptation infinie sur une basse
continue.
II. Des foyers italiens classiques vers toute l'Europe
On
sait que c'est autour de Milan que les français ont découvert
l'architecture nouvelle. Mais la saga de la Renaissance architecturale
commence par la construction du dome de Florence et de sa coupole,
dont on disait que les badauds venaient régulièrement
la voir s'effrondrer. D'ailleurs les italiens étaient peu
familiers du gothique et cherchaient plutôt d'autres solutions
ce qui explique leur audace. Mais les plans datent du milieu du
XIVe siècle, Brunelleschi (†1446) n'a été qu'un
bon ingénieur. Florence n'a pas de vestiges antiques, mais
l'orfèvre Brunelleschi est allé à Rome en compagnie
de Donatello pour dessiner les ruines. A son retour (1421), il bâtit
la façade de l'Hôpital degli Innocenti, mais est-ce
imitation de l'antique ou du roman, si présent en terre italienne
? Son élan est repris par Michelozzo, orfèvre lui
aussi, puis par Battista Alberti qui introduit les ordres et encadre
pour la première fois ses frontons triangulaires de volutes
qui amortissent le rétrécissement optique provoqué
par la hauteur à Santa Maria Novella, l'église des
OP, achevée en 1470. Mais Alberti travaille aussi pour d'autres
villes : Mantoue, Venise, Ferrare, Rimini et surtout Rome où
il meurt en 1472. Jusque là, le gothique international continue
à fleurir à Venise mais deux architectes, Piero Lombardo
(S. Maria dei Miracoli) et Moro Codussi (S. Zaccaria à partir
de 1483) commencent à la transformer.
A partir de 1490 ; Florence et Venise resteront des laboratoires
de formes, mais le primat inconstestable de l'influence va à
Rome où Bramante débarque après la chute du
More en 1499. Il y dessine les ruines antiques et conçoit
en 1502 le tempietto de S. Pietro in Montorio, sur le modèle
du Panthéon, avant de s'investir au Vatican. L'Antiquité
est relancée.
C'est à Rome qu'on lit le mieux l'Antiquité et c'est
là aussi qu'on a le mieux recyclé les monuments antiques.
Raphäel (†1520) sera à la fois architecte et le premier
conservateur des antiquités. Le Panthéon d'Hadrien
devient alors l'exemple parfait du plan centré (la rotonde
couverte d'une coupole) et d'un pronaos antique (portique de colonnes
supportant un fronton triangulaire). Le Colisée, le Septizonium
à trois étages et le théâtre de Marcellus
sont des modèles en place de superposition des ordres. Mais
tous les vestiges, quelle que soit leur ancienneté, sont
désormais étudiés et protégés
: les thermes de Dioclétien, de Caracalla, la basilique de
Maxence sont dégagés et étudiés de près.
Il faut bien voir pourtant que le Panthéon et San Lorenzo
de Milan ou les basiliques chrétiennes sont les seuls monuments
entiers. Ailleurs, on extrapole à partir des vestiges qu'on
sait plus ou moins lire. Paradoxalement, les richesses d'Italie
du Sud sont peu étudiées en dehors de Naples, relevée
par Francesco di Giorgio (Capoue et la Sicile sont pour le XVIIIe),
mais on connaît aussi San Lorenzo de Milan (un modèle
de plan centré et quadrilobé, précédé
d'un atrium colossal), Vérone ou Posa en Istrie. Les monuments
antiques de Gaule (maison carrée et arênes de Nîmes,
arcs et théâtres d'Arles et Orange sont étudiés
en premier par des italiens (Giuliano Sangallo puis Palladio) il
n'en demeure pas moins que c'est Rome qui domine. Et comme toute
l'Europe vient à Rome par les chemins de pèlerinage,
c'est surtout maintenant par Rome que l'Europe imite l'Italie.
La mort de Raphael met en place ses disciples : Antonio da Sangallo,
détesté par Michel Ange, qui érige le palais
Farnese, à la façade florentine austère mais
au cortile superposant les trois ordres et Jules Romain qui part
à Mantoue. Le sac de Rome disperse les ateliers et l'on voit
Serlio († v1555) et Jacopo Sansovino débarquer à Florence.
Mais Michel Ange quitte Florence pour Rome en 1534 et conçoit,
en 1536 probablement, le premier projet d'urbanisme avec l'aménagement
du Capitole : une place ovale dans un triangle pour mettre en valeur
la plus belle statue equestre antique Marc Aurèle. Mais la
place ne sera achevée qu'au XVIIe siècle. En 1546,
il succède à Sangallo à Saint Pierre et le
façonne de façon définitive car son successeur,
Vignole, respectera ses dessins.
En Italie, le tournant se produit avec la disparition simultanée
de plusieurs grands : Michel Ange en 1564, Sansovino en 1570, Vignole
en 1573, Vasari en 1574. Ensuite, la Renaissance n'invente plus
de formes, mais l'Europe est déjà totalement convertie.
Le premier pays touché semble
être la Hongrie où Mathias Corvin, élu en 1458
et sa femme imposent le gôut italien jusqu'à sa mort
en 1490. Presque tout a disparu dans le désastre de Mohacs
(1526). Ivan III †1503 appelle aussi des italiens à Moscou
pour construire la troisième Rome et l'ingénieur bolonais
Aristotele Fioravanti construit la cathédrale de la Dormition
et des Milanais reconstruisent l'enceinte du Kremlin et élèvent
le palais des diamants. Cette floraison ne fut qu'un feu de paille,
nullement imité ailleurs en Moscovie. Tel n'était
pas le cas en Europe centrale. A la cour de Pologne, Sigismond avait
passé trois ans à la cour du successeur de Mathias
Corvin, son frère. Désigné roi de Pologne en
1506, il fait reconstruire le palais de Cracovie (Wavel) par Francesco
Fiorentino et fait introduire le plan centré en Pologne avec
sa chapelle funéraire, construite par un autre florentin,
Bartolomeo Berecci. Dans les deux cas, les formes seront imitées
partout en Pologne et Lithuanie. Pendant ce temps, l'Allemagne reste
Gothique.
L'Espagne entretenait des liens privilégiés avec l'Italie
mais la tradition gothique y était forte. C'est par l'art
funéraire et les décors en arc de triomphe que le
goût de l'antique est introduit, à partir de 1504 avec
le monument du cardinal Mendoza dans la cathédrale de Tolède.
Et les artistes italiens se déplacent en Espagne, comme le
florentin Andrea Sansovino, mort à Saragosse en 1519 alors
qu'il devait exécuter le tombeau de Philippe le beau et et
Jeanne la folle ; l'œuvre sera menée par Bartolomé
Ordoñez de Burgos, un espagnol passé par l'Italie.
Mais sous Charles V comme sous François Ier encore, l'architecture
n'est qu'imitation de l'Italie.
Les Français ont découvert l'Italie les armes à
la main, avec Charles VIII. Le roi ramène des orfèvres,
un facteur d'orgue, deux menuisiers dont Dominique de Cortone, spécialisé
dans la fabrication de modèles d'architecture, le sculpteur
Mazzoni et l'architecte Fra Giocondo et un jardinier… Mais il faut
attendre l'occupation de Milan par Louis XII pour que les échanges
soient systématiques et les séjours de l'aristocratie
assez nombreux pour qu'ils commandent des formes nouvelles à
leur retour. Le jeune François Ier encore ne réussit
qu'à faire venir le vieux Leonard et seules quelques initiatives
individuelles introduisent des formes Renaissance avant 1525. Comme
en Espagne, c'est par les tombeaux que tout arrive, ainsi le tombeau
de François II de Bretagne à Nantes, en 1499 par Girolamo
da Fiesole. Les sarcophages donnent l'exemple de l'ordonnance classique
et de la symétrie. Le tombeau de Louis XII et Anne de Bretagne,
commandé en 1515 et achevé en 1531 par les florentins
Antonio et Giovanni Giusti est probablement inspiré de celui
de Gian Galeas Visconti à la chartreuse de Pavie, mais avec
une animation particulière. Le cardinal d'Amboise à
Gaillon, les chanceliers Florimond Robertet à Bury ou Thomas
Bohier à Chenonceaux construisent en style français
avec les principes italiens de régularité et de symétrie.
C'est surtout avec la construction de Chambord, lancée en
1526 par le roi et sous l'influence de Leonard, mais surtout après
la captivité de François Ier, que l'Italie s'installe
en France et encore. C'est bien plus vrai en architecture qu'en
peinture par exemple.
Prenons la diffusion des ordres. Leur emploi est empirique sous
le règne de François. Les premiers exemples furent
donnés à l'entrée (disparue) d'Ecouen vers
1545 par Jean Goujon et par De Lorme à Anet. Jean Bullant,
en 1564, dans sa Reigle générale d'architecture en
publie le premier manuel pratique, éclipsé par Vignole.
En Espagne, le collège des Irlandais de Salamanque (1530),
puis l'hôpital du Saint-Sang de Séville et enfin l'Escorial,
témoignent de l'introduction. Mais il faut attendre le milieu
du siècle et surtout la fin du siècle pour qu'un peu
partout triomphe la Renaissance classique et maniériste.
En quelques années, François Ier attire à la
cour Girolamo Della Robbia (1527), Gian Francesco Rustici, le Rosso
(1530), le Primatice (1532), Serlio (1540) qui finiront leurs jours
en France. Cellini et Vignole sont venus à leur tour à
la fin du règne et Vasari n'hésitera pas à
dire que Fontainebleau est " une nouvelle Rome "… et surtout
une dépendance de Mantoue pour ses décors profanes
de stucs et de fresques. L'École de Fontainebleau introduit
le maniérisme en France. Même si elle reste longtemps
un domaine réservé des italiens, (Rosso a peint la
galerie de Fontainebleau entre 1530 et 1540) son évolution
est capitale dans l'évolution de l'art français. Dans
un premier temps, les aspects novateurs et les aspects traditionnels
se côtoyent, mais à partir de la construction d'Ecouen,
le mouvement est lancé. Des architectes français commencent
à émerger, comme Pierre Lescot, qui crée au
Louvre un style classique français (avant corps à
colonnes superposées). Le rayonnement des œuvres de Vitruve
et Serlio permet à ce style de se développer en province,
par exemple au château de Bournazel ou à l'h^tel d'Assezat
à Toulouse.
Philibert De Lorme, fils d'un maître mâçon de
Lyon est l'architecte d'Henri II. Il s'est révélé
en bâtissant une villa inspirée du palais du Té
à Saint Maur pour le cardinal Du Bellay et le château
d'Anet pour Diane de Poitiers, le tombeau de François Ier
à Saint Denis et le château neuf à St Germain.
Après une disgrâce en 1559, Catherine de Medicis (qui
préférait Primatice) lui confie le projet grandiose
des Tuileries. La disparition de Philibert De Lorme et du Primatice
en 1570 marque la fin de cette période classique. De même,
Jean Goujon disparaît en 1562 pour cause de protestantisme
et la sculpture est alors dominée par Germain Pilon.
La fascination de l'Antique, cultivée dans les collèges
rénovés, trouve désormais un public large.
Elle développe un goût nouveau qui favorise un œil
nouveau dans des couches sociales de plus en plus larges et qui
se diffuse par une sorte de capilarité culturelle. La réception,
la " domestication " de la Renaissance est directement
lisible dans ces formes. L'architecture fut le terrain par excellence
de l'opposition à l'art gothique. La nouvelle architecture
n'est pas cependant une table rase (la chartreuse de Pavie ou l'église
St Eustache de Paris sont gothiques sous leur vêtement Renaissance),
mais ce qui fait la différence, c'est le système des
proportions adoptées. Là où le Moyen Age en
restait aux proportions arithmétiques, l'architecture de
la Renaissance introduit les proportions harmoniques du platonisme,
particulièrement dans l'élévation. Il n'y a
pas de beauté sans harmonie et sans symétrie à
cette époque. Il ne s'agit plus de faire plus haut, plus
grand, mais de faire plus beau par l'ordre, la clarté et
l'harmonie. Il s'agit de construire ordonné car l'architecture
est le reflet d'un ordre qu'on croit universel, d'un ordre parfait
qu'on veut imposer. Il n'y a pas de beauté sans ordre hiérarchique
pour notre époque. Nos définitions occidentale du
beau vont être fixées sur ces bases jusqu'au XXe siècle.
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