Madame Nicole LEMAITRE
Université Paris I Panthéon Sorbonne
Cours d'agregation d'histoire
Année académique

2002-2003

 

7. La Renaissance est fille des cours

I. Une cour très mobile et très rustique encore

II. Le prince en représentation

III. Mécénat et pouvoir

RENAISSANCE ET RÉFORMES
Les " siècles d'or " du monde renaissant sont aussi un temps de haute spiritualité. Tout bouge, au prix d'une montée générale de l'angoisse et si l'aspiration à la pureté et à l'ordre n'a jamais été aussi grande, elle s'exprime aussi parfois par l'abandon du réel trop éloigné de l'idéal visé, vers les rives du rêve et des utopies mais aussi de la transcendance et de l'espérance d'une " vie meilleure " comme le disent nombre de notices nécrologiques. Sous l'influence de la croyance en la fin prochaine du monde, la mystique pousse en effet à réaliser un monde selon Dieu, un monde qui soit prêt à se présenter devant Dieu. Dans ce cadre, un immense optimisme peut aller avec une sublime inquiétude.
L'idée de réforme n'appartient pas qu'au domaine religieux. Elle suppose une lutte contre les barbares de toute farine pour revenir à l'état idylique d'avant la dégradation universelle. Les sous-bassements platoniciens de la perception du monde jouent donc un rôle important dans le désir de changement, soit pour retourner aux origines, soit pour préparer la fin de ce monde (les deux thèmes sont présents en permanence). Parmi les vecteurs de ces nouvelles sensibilités, la cour joue un rôle essentiel car elle devient pourvoyeuse de modèles. C'est par là que passe l'idée du changement et l'aspiration à un monde plus conforme à l'ordre éternel parfait et à la morale, une aspiration qui naît sur une réflexion éthique induite par les excès mêmes de la cour. La réforme de l'État et la réforme de l'Église y sont abordés de façon indistincte, même si ce n'est pas là qu'on les pensera sous le mode de la rupture et du schisme. La première tâche de la cour est en effet de civiliser la noblesse, de la rendre apte à autre chose qu'à se battre.

7. La Renaissance est fille des cours

Avec les universités, les collèges, les couvents et les villes, la Renaissance n'aurait pas eu l'importance qu'elle a eue sans les cours. Le système de la cour naît à cette époque et l'homme de cour devient un type sociologique qui survit encore de nos jours même s'il ne modèle plus le monde.
cf N. Elias, La société de cour (1969), Paris, 1974.
† 1990. Ce sociologue d'origine allemande qui avait travaillé avec Max Weber ne fut pas entendu de son vivant en France à cause du lobby normalien sur la discipline (Durkheim et deux générations de disciples) et de la séduction exercée par le structuralisme dans les années 60-70. Exilé volontaire dès 1933, il a développé en GB une sociologie des processus et des configurations sociaux en réfléchissant en particulier sur les comportements collectifs qui expliquent la genèse de l'État (la civilisation des mœurs), un " processus de civilisation " qui suppose l'autocontrainte dans les comportements collectifs (dans les manières de table aussi bien que dans l'agressivité guerriere ou sportive), indispensable au développement de l'État. Dans La société de cour, il étudie le moment crucial où l'adoption de ces règles de comportement est diffusé en dehors du cercle princier. L'objet de son ouvrage est surtout la cour de France aux 17e-18e mais tout commence avec le développement des cours à la Renaissance.
cf Garin, homme R
Clifford Geertz, Negara. The Theatre State in nineteenth century Bali, Princeton, 1980, A partir d'une description de la cour de Bali au 19e il réfléchit sur le fonctionnement des mythes du centre exemplaire et de l'État-théâtre, en comparant ses mécanismes avec les cours européennes des XVIe-XVIIIe.
Jean-François Solnon, La cour de France, Paris, 1987.
David Starkey (éd.) , Henry VIII. A European court in England, Londres, 1991.
Robert Knecht, Un prince de la Renaissance (1982), et un article précieux " The court of Francis I ", dans European studies Review, 1978, p. 1-22.
Plus large : Jean-Marie Constant, la vie quotidienne de la noblesse française 16e-17e, 1985.
Anti : Pauline M. Smith, The Anti-courtier Trend in Sixteenth century French Literature, Genève, 1966.
Anne Marie Lecoq, François Ier imaginaire. Symbolique et politique à l'aube de la Renaissance française, Paris, 1987. Indispensable à lire pour l'écrit et à utiliser pour l'oral (toutes les clés de l'iconographie monarchique)
Jean-Philippe Genet, éd., L'Etat moderne : Genèse, Paris, 1990 (plans de résidences royales et de salles de fêtes pour la France)
Comparaison, surtout pour l'oral (le camp du drap d'or, célèbre tableau anonyme d'Hampton court, mainte fois reproduit. Cf Delumeau, une histoire) Joycelyne G Russel, The Field of the Cloth of Gold, Londres, 1969 et dernière mise au point de R. Knecht dans Charles Giry Deloison (éd.), François Ier et Henri VIII. Deux princes de la Renaissance (1515-1547), Villeneuve d'Ascq, 1994 (col. " Histoire et littérature régionales, 13 "). On y trouvera aussi deux études parallèles des finances d'Henry VIII (S. Jack) et François Ier (P. Hamon).

I. Une cour très mobile et très rustique encore

Le courtisan est l'une des figures majeures du temps, avec le succès phénoménal de B. Castiglione. Celui-ci, né en 1478, fils de condottiere au service du duc de Mantoue se rend très jeune à la cour de Ludovic le more (Milan) en 1499, François de Gonzague, marquis de Mantoue le prend à son service puis il passe à la cour d'Urbino entre 1503 et 1513. Il portera aux nues la cour des Montefeltre qu'il va représenter dans plusieurs ambassades. En 1524, Clement VII le nomme nonce auprès de Charles Quint. Il restera en Espagne jusqu'à sa mort en 1529. Il est alors célèbre pour avoir publié à Venise son Livre du courtisan en 1528. Comment plaire par la langue, la culture lettrée et la conversation, la manière de s'habiller et de se comporter ? Le manuel répond à tout Mais en bon platonicien, l'image extérieure doit être conforme à celle du dedans. L'habit fait le moine ou plutôt ce qui fait le moine, c'est la manière convenable d'en porter l'habit.
Mais qu'est-ce que la cour ? Elle est là où se trouve le prince : " le milieu spécifique qui se constitue autour d'une puissance dont il va être à la fois l'instrument et le reflet " dit très justement André Chastel (La crise de la Renaissance) qui poursuit : " La qualité humaine est associée à l'art de paraître ; l'homme est invité à se réaliser au dehors plus intensément que jamais ", d'où la passion de la réussite et de l'ostentation dans la société de cour, passion qui choque déjà la vieille noblesse rurale.
Qui est à la cour ? Prenons la cour de France, une véritable noria qui change sans cesse et dont les effectifs sont fort instables. En général, les ambassadeurs l'estiment en fonction du nombre de bêtes : c'est ainsi que l'ambassadeur anglais Taylor rapporte que les écuries sont prévues pour 22500 chevaux et mules à l'arrivée de la caravane royale à Bordeaux en 1526. Marino Cavalli dans sa Relation de 1546 hésite cependant entre 6000 et 12000 chevaux. En fait, en 1523, on compte 540 officiers et serviteurs, deux fois plus cependant qu'en 1480. Cette augmentation semble liée surtout à l'expérience italienne, depuis 1494. Du temps de Castiglione, la cour d'Urbino comptait 350 personnes, celle de Milan plus de 600 vers 1500 et celle de Rome 2000 sous le pontificat de Léon X, chiffre que la France ne rattrapera qu'à la fin du siècle.
C'était un milieu très masculin jusqu'à ce qu'Anne de Bretagne introduise les dames y résidant en permanence en créant une maison de la reine (une dizaine de dames et une quarantaine de filles d'honneur ; il y en aura 111 en 1585) 240 personnes en tout en 1523. Elles reçoivent des robes d'apparat en tissus précieux. Leur présence transforme d'ailleurs le caractère de la cour en développant l'élégance et la politesse. Le rôle de transmission des manières italiennes par les princesses qui débarquent en Hongrie (Béatrice d'Aragon mariée avec Mathias Corvin) ou en Pologne (Bonne de Milan, mariée avec Sigismond) le prouve d'abondance. Peu à peu, s'impose la certitude, comme le dit César de Gonzague dans Le Courtisan de Castiglione, qu'il
" n'y a pas de cour aussi grande soit-elle, qui puisse posséder ornement, splendeur ou allégresse sans les femmes, ni de courtisan qui soit gracieux, plaisant ou hardi, ou qui puisse jamais faire un galant acte de chevalerie, s'il n'est mû par la fréquentation et par l'amour et le plaisir des dames ".
Pour autant, la cour est-elle aussi légère que le raconte Brantôme, qui n'y a vraiment séjourné qu'après 1560 (né en 1540) ?
Si François Ier fut un séducteur impénitent, il ne tolère pas le scandale et Henri II interdit dès 1547 aux hommes d'assister au lever et coucher des dames d'honneur. Diane de Poitiers fait régner la décence et la discrétion d'Henri II en amour fait le reste. Catherine, par réflexe de femme longtemps bafouée, y veillera plus encore ; pourtant elle n'hésitera pas à utiliser les dames dans les négociations politiques, mais rencontres et maintien sont soumis à des règles précises ; par exemple il n'est plus pensable que leur compagnon s'allonge auprès d'elles dans la seconde moitié du siècle. Toutes les femmes compromises ont été durement traitées : lady Flaming, la gouvernante de la petite Marie Stuart fut chassée pour avoir parlé des faveurs d'Henri II. Françoise de Rohan fut exilée, enceinte du duc de Nemours qui l'avait abandonnée après lui avoir promis le mariage. D'autres furent mises au couvent, ceci, qui est lié à l'honneur familial, n'empêche pas encore la gaillardise et la verdeur du langage, qui sont sans rapport avec les comportements. Les femmes de la cour forcent les hommes à la galanterie honnête qui va se diffuser plus tard à la ville ; ce faisant, elles aident aussi à la promotion d'une élite féminine qui civilise la cour.
Pourquoi vient-on à la cour ? Pour avoir " l'oreille du prince " et bénéficier de sa faveur et de ses grâces (dons), pour voir un personnage hors du commun aussi, d'où l'assimilation de la cour à l'Olympe (Ronsard) Etre exilé de la cour est déjà un châtiment à notre époque. Dans le tohu bohu ordinaire de la cour des Valois où le roi, assez petitement logé, se laisse approcher facilement, sauf quand il est à la chasse ou dans une maison de plaisance, on trouve toujours des princes du sang et des gentilhommes de passage, solliciteurs d'un jour ou assidus à chaque lever, et du personnel de service, du maître d'hôtel aux échansons et marmitons.
La famille royale vient en premier ; les princes du sang sont séparés graduellement des pairs, ducs, princes étrangers qu'ils précèdent dans le courant du 16e. Viennent ensuite les grands officiers de la couronne et dignitaires de la maison du roi : connétable, chancelier et garde des sceaux, et les grands chambrier, chambellan, amiral ; les maréchaux et les secrétaires d'État enfin. En sont proches les commensaux du 1er ordre : grand Echanson, panetier, écuyer tranchant, veneur, fauconnier, louvetier. Viennent ensuite les commensaux de 2d ordre, gentilhommes servants qui sont maîtres d'hotel, valets de chambre et de garde robe, huissiers et les membres du conseil privé, maîtres des requêtes, notaires et secrétaires qui sont de noblesse plus ou moins récente voire bourgeois.
Au bas de l'échelle les petits emplois sont commensaux de 3e ordre et vivent de gages et de pourboires. C'est là qu'on trouve aussi les marchands, artistes et gens de métier suivant la cour et les très officielles " filles de joie suivant la cour ". Ils sont exemptés de la réglementation des métiers et des péages. De 100 sous Louis XII, ils passent à 160 à la fin du règne de Fançois Ier et près de cinq cents un siècle plus tard. La cour ne se confond plus avec la noblesse, ce qui déplait aux hobereaux. Certaines charges anoblissent et d'autres pas encore dans le 2d ordre, mais les privilèges fiscaux sont intéressants pour tous.
Le roi n'est encore dans ce monde que " le premier des gentilhommes " dont il partage les sensibilités : " François Ier aimait les tournois, la chasse, la guerre qui était pour lui un jeu brillant et chevaleresque où le chevalier courageux risquait sa vie pour conserver son honneur ". Certes l'étiquette apparaît mais les parties de chasse au clair de lune brisent toute liturgie royale. Il n'y a pas eu d'ordonnance organisant la cour sous François Ier, preuve que l'organisation de la fin du XVe lui convenait. La maison du roi il est vrai était déjà fort développée, avec ses trois départements principaux (la chapelle, la chambre, l'hôtel), et on distingue les services dus au roi(la bouche), et ceux réservés à son entourage (le commun). Les officiers de la maison sont payés en nature et ont le droit de manger à la cour et de se servir en chauffage, eclairage et fourrage. A côté, il existe une structure militaire dont la plus ancienne est la garde écossaise (sa garde personnelle), les 300 archers de la garde, les cent suisses depuis Charles VIII, les 200 gentilhommes de l'hôtel. Toutes ces troupes sauf les suisses sont montées. Prenant à la fois des traditions de la cour de Bourgogne et des cours italiennes, la cour d'Henri II sera plus organisée, avec l'apparition de l'antichambre dans les châteaux et le rituel du lever royal, mais rien à voir avec la machine de la cour future : nous sommes loin de la cour de Louis XIV. Mais François Ier crée à côté de la vieille noblesse foncière, pourvoyeuse de soldats, une noblesse royale dont la distinction dépend du roi seul et il offre ainsi des chances de promotion sociale à des hommes nouveaux. Il le fait en distribuant aussi des pensions et des bienfaits. Chaque courtisan est en effet à la tête d'un réseau pyramidal de clients qui diffusent des places et des bienfaits. Etre écouté du roi, c'est partager son pouvoir et obtenir des charges, être près des favoris, ceux qui suivent le roi dans son intimité (la chambre), et le voient " en privé " (privado en espagnol). Or selon que les favoris suivis sont bien ou mal en cour, tout peut changer. La rivalité entre les maisons de Montmorency, de Lorraine et de Bourbon, qui se règleront dans les Guerres de religion, le montrent amplement
Les reprises de guerre vident la cour de ses jeunes guerriers à la belle saison mais leurs exploits militaires les font de moins en moins briller après 1530. L'une des caractéristiques de la cour de France par rapport aux cours précédentes est, selon Castiglione, la promotion des lettres sur les armes au temps de François Ier. La plupart des soldats sont poètes ou musiciens, comme le fondateur de la poésie castillane moderne, Garcilaso de La Vega (1503-1536) qui fut soldat en Afrique du nord, diplomate en France et mourut les armes à la main en Provence (le Muy). C'est lui qui a introduit en Espagne le livre de Castiglione.
Alors que les Tudors résident beaucoup plus à Londres la cour des Valois reste nomade. Les relations des ambassadeurs nous permettent de suivre ces voyages épuisants, tant sous François Ier que sous Henri II. Les raisons en sont multiples : le manque de vivres, le nettoyage nécessaire, les épidémies, mais la raison la plus évidente tient à l'exercice même du pouvoir. Au XVIe siècle, le roi doit se montrer pour affirmer son pouvoir et distribuer les privilèges car les serviteurs de l'État sont encore peu nombreux : 5000 officiers environ en 1515, un pour 3000 habitants (cf P. Chaunu, " L'État ", dans Histoire économique et sociale de la France, I. 1450-1660, L'Etat et la ville, 1977, p. 9-228. Insurpassé pour la vue d'ensemble. Chaque déplacement ménage des entrées solennelles auxquelles les citoyens sont associés, l'une des cérémonies clé de ce temps pour comprendre les liens du roi avec ses sujets : Roy Strong, Les fêtes de la Renaissance. Art et pouvoir (1976), Paris, 1984.
Malgré le flou des évaluations, le nombre de personnes impliquées dans les déménagements n'a cessé d'y augmenter pour atteindre sans doute la taille d'une petite ville de peut être 10000 personnes, or la cour se promenait d'un château à l'autre ; toutes les deux semaines environ, elle changeait de séjour. Dans la première moitié du règne, il n'y a plus bientôt de salle suffisante pour accueillir les courtisans.. Nous manquons de documentation, mais le plus impressionnant est la logistique déployée pour transporter les bagages : pour la rencontre entre François Ier et Clement VII à Marseille, en 1533, il fallut débourser 4623 livres pour déplacer les meubles, la vaisselle et les tapisseries de la cour (minimum vital, 25 livres par an) ; pourtant il ne faut pas trop insister sur ces dépenses somptuaires : entre 1516 et 1546, les dépenses de la maison du roi n'ont augmenté que de 30%. Le plus difficile pour la logistique reste l'alimentation, ce qui en limite singulièrement l'efficacité. le passage de la cour provoque une pénurie générale de pain, de fourrage et de boisson : en août 1540, tous les puits étaient à sec autour du Havre et les réserves de cidre épuisées. Les grands eux-mêmes, Lautrec, Guise, Orléans tombèrent malades. Cf R. Knecht
Dans ce monde bruissant de rivalités, de on-dit et de canulars, le courtisan acquiert une mentalité qui développe selon Elias l'autocontrainte et les masques. Son rôle essentiel est en effet de plaire selon Castiglione. Cf Alain Pons son dernier éditeur, " l'essence de la courtisanerie, n'est pas à chercher dans son contenu mais dans sa forme ". Dans ce monde où le luxe n'est pas superflu mais autoaffirmation (Weber) et manière de vivre, est donc élaboré une civilité qui aide au maintien de la paix, celle-ci repose sur ce que Castiglione appelle la grâce et que nous pourrions traduire par la classe. Une gestuelle acquise dans un long apprentissage de l'équitation, de la danse et bientôt de l'escrime (cf H. Drevillon et al. Croiser le fer, Paris, 2001). Toutes activités physiques qui règlent les comportements extérieurs. Cette nouvelle civilité a fait aussi entrer dans la langue française tout un vocabulaire de la cour : page, camériste, bouffon, carrousel, intermède, mais aussi charlatan. Le snobisme suprême consiste à parler un sabir emphatique, car il existe un " parler courtisan ", dénoncé par exemple par l'imprimeur et philologue Henri Estienne sous le règne d'Henri II : on remplace le e par le a (sarment, guari), le p par le b (constantinoble) et on prononce è ce qui s'écrit oi et se prononçait oué : j'estès remplace j'estois. La Défense et illustration de la langue française (Du Bellay, 1549) n'y changera rien.
La noblesse prend à la cour de nouvelles habitudes de consommation et même de langage (la mode italienne) d'autant que Catherine de Médicis (mariée en 1533) et Anne d'Este (en 1548, avec François de Lorraine) y transportent directement la culture italienne : le livre du courtisan, traduit en français en 1537 en devient la bible, les artistes et les fuorusciti (bannis) de Florence, dont les quatre frères Strozzi, font le reste. L'entretien d'italiens à la cour est en effet le moyen de soutenir un parti français en Italie face aux espagnols et de ménager ceux qui peuvent prêter de grosses sommes. La faveur du roi favorise leur assimilation rapide : Jean-Jacques Trivulce, de Milan, deviendra maréchal de France et les Fregosi de Gênes , les Caraccioli de Naples font faire souche en France. Au contraire, Frédéric Gonzague revient en Italie comme duc de Mantoue en 1519 cf Raffaele Tamalio, " Francesco et Federico Gonzaga (1494-1525) : trente ans de politique entre France et Empire ", dans Passer les monts. Français en Italie - Italie en France (1494-1525),éd. Jean Balsamo, Paris, 1998. Arrivé comme otage en 1515, il avait su se faire aimer de tous et laissa de profonds regrets. Mais son frère, Ferrante fut envoyé en Espagne en 1523 et y resta 3 ans avant de devenir l'un des grands capitaines de son temps au service de Charles Quint. Bien entendu, le personnel subalterne joue aussi un rôle important : les médecins, musiciens, architectes, écuyers…le bouffon Filippo Visconti, en service à la cour ou près des grands viennent souvent d'Italie. Les échanges vont dans les deux sens d'ailleurs. Les étrangers ne forment pourtant qu'une minorité tout de même et les Italiens rencontrent aussi beaucoup d'Ecossais de Suisses et d'Espagnols. Jean Clouet, valet de chambre en 1523, venait sans doute des Pays Bas. Mais ce milieu cosmopolite tranche sur la vie française ordinaire.
Peu à peu donc la distance entre les nobles qui viennent à la cour et les autres grandit, y appartenir donne un surcroît de prestige mais provoque aussi un début de domestication de la noblesse. La cour devient donc un instrument de règne. La curialisation de la noblesse européenne est un processus essentiel dans le développement de l'État mais elle joue aussi un rôle dans l'instauration de la distance entre dominants et dominés. Du fait que la noblesse la plus active ne vit plus à la campagne, découle une autre vision des paysans à la fois plus nostagique(bienheureux laboureur, pure nature…) et plus méprisante (en temps de révoltes). L'hostilité de ceux qui n'en sont pas est à la mesure de la fascination qu'elle exerce.
Henri Estienne raille ainsi : " prenez trois livres d'impudence, deux livres d'hypocrisie, une livre de dissimulation, trois livres de la science de flatter, deux livres de bonne mine. Le tout cuit au jus de bonne grâce par l'espace d'un jour et d'une nuit… Après il faut passer cette decoction par un estamine de large conscience… Voilà un breuvage souverain pour devenir courtisan en toute perfection de courtisianisme "
Et Du Bellay de fustiger dans les regrets " ces vieux singes de cour, qui ne savent rien faire / Sinon en eleur marcher les princes contrefaire " Il est vrai qu'il était déçu de n'y avoir point de place. D'une manière générale, l'hostilité à la cour fait partie des poncifs moraux, d'autant plus qu'elle profite d'une longue tradition, grecque, latine, française et même italienne (Eeneas Silvio Piccolomini, Pie II, par exemple) cf pauline M. Smith (p. 67-68) citant le poète poitevin Jean Bouchet (au service de Louis de La Tremoille, l'un des grands capitaines du temps) dans le Panegyric du chevalier sans reproche, 1527
" La cour est une humilité ambitieuse, une sobriété crapuleuse, une chasteté lubricque, une modération furieuse, une contenance superstitieuse, une diligence nuysible, une amour envyeuse, une familierité contagieuse, une justice corrompue, une prudence forcenée… c'est ung lieu où l'on prend par force ou peine ce qui doit estre acquis par vertu ".
Mais il ne faut pas s'y tromper, si l'on dénonce parfois cette société perçue comme décadente et parasite, le milieu de la cour sert désormais l'image du souverain.

II. Le prince en représentation

Ce que retiennent surtout les étrangers, c'est le faste de la cour. Le roi doit éblouir. Ainsi fait François Ier en recevant pendant 43 jours son rival Charles Quint en 1539-1540, entre Loches et Saint-Quentin. A Amboise, Blois, Chambord, Fontainebleau, Charles découvre la cour la plus fastueuse du monde et les restaurations ou constructions manifestent la Renaissance à la Française dans sa splendeur juvénile : il inaugure Fontainebleau et sa fameuse galerie. Nous ignorons tout des réactions de Charles au chef d'œuvre de Rosso et les polémiques vont bon train dans l'interprétation du programme iconographique (privilégier Sylvie Beguin), mais l'œuvre est sans conteste politique. Henri II à son tour y fera construire la galerie (détruite) d'Ulysse (1541-1570) par Primatice. Ces lieux où passaient et repassaient les courtisans étaient destinés à leur éducation. En entrant à Paris le 1er janvier, Charles Quint, fatigué, ne peut que faire la comparaison avec un Louvre et un palais des Tournelles décrepits. Il fallut d'ailleurs réquisitionner la grande salle du Parlement pour donner le festin. Le contraste était violent. C'est ensuite que la reconstruction du Louvre prendra son essor, confiée à Pierre Lescot en 1546.
Le meilleur instrument de communication entre le souverain et les villes est les entrées. Beaucoup de thèmes architecturaux passent dans les décors, on l'a vu et les plus grands artistes participent à ces décors. Mais du point de vue de la construction de l'Etat, le décor des fêtes manifeste la transformation du message idéologique transmis aux spectateurs : le passage de l'entrée triomphale de la fin du Moyen Age au triomphe à l'antique. Entre temps, l'Etat s'empare de l'art de la fête pour en faire un instrument de pouvoir cf Roy Strong, Les fêtes de la Renaissance (1973), Paris,1991. Tout commence en Italie bien sûr. Voir Piero della Francesca peignant après 1478 Federico Da Montefeltre, le duc d'Urbino et sa femme, Battista Sforza lors de leur entrée : le duc, accompagné des vertus cardinales, reçoit d'un ange une couronne de lauriers tandis que la duchesse, trônant sur un char tiré par des licornes (symboles de chasteté) est entourée des vertus théologales. Jouent l'Antiquité, son histoire et ses mythologies : Louis XII entre à Milan comme dans un triomphe romain classique, mais aussi les gravures du Songe de Poliphile de Francesco Colonna, OP, (1499) où apparaissent les obélisques (sagesse hermétique) et Europe tirée par des taureaux lascifs qu'on retrouvera dans l'entrée d'Henri II à Rouen en 1550.
A la cour, c'est le tournoi qui permettait au roi d'évoluer parmi la noblesse. Le topos du preux chevalier est le moyen pour le roi de singulariser la noblesse à l'occasion de joutes dans lesquelles le résultat compte de moins en moins. Le tournoi se transforme également de façon profonde. Au Moyen Age, il illustrait le rôle de suzerain du roi mais constituait d'abord un enseignement du combat et l'apprentissage des idéaux chevaleresque de courage et de vaillance. Au XVIe siècle, il est de plus en plus souvent arrangé pour permettre la victoire du monarque ou de son héritier Le camp du drap d'or en 1520 est un exemple typique de spectacle superficiel et pseudo chevaleresque où tout est arrangé. Puis le spectacle se transforme en " tournoi à thème ". Il célèbre souvent un traité d'alliance ou un mariage et permet à l'aristocratie de parader sur des thèmes des romans de chevalerie ou de la Renaissance comme le songe de Poliphile ou l'antiquité romaine ; il se fait carrousel, ce qui le rapproche peu à peu du ballet et de l'opera.
Dans les entrées, les médailles, les sceaux, le roi se donne à voir et la royauté fixe ses symboles. Les sceaux de magesté distinguent par exemple le roi de France : il ne porte jamais le globe, l'épée ou la croix mais deux sceptres, le baculus et la virga qui lui sont remis au sacre (un roi sage et nourricier). En 1461 apparaît l'expression " main de justice " pour désigner l'un des bâtons, le " bâton à seigner (bénir) " désormais assimilé à la main de Dieu. Elle remplace sans discontinuité la palma, la main végétale du roi glorieux et vainqueur et manifeste le passage à une monarchie administrative et justicière.
La médaille à l'italienne multiplie les devises favorables aux princes. En Italie puis en France et ailleurs, les emblèmes et les devises développent encore mieux ce genre de propagande, qui nourrit l'imaginaire de l'ensemble de la population. C'est ainsi qu'en 1512, la première médaille à l'antique jamais fondue en France représente déjà l'héritier François comme dux Francorum (Lecoq)

III. Mécénat et pouvoir

François Ier, dont le gôut pour l'art remonte à l'enfance est sans doute le premier roi conscient de la supériorité de l'Italie en matière de culture. Ses prédécesseurs n'avaient ramené que des objets (La vierge au rocher de Léonard tout de même) et des seconds couteaux. François fait venir Léonard en 1516 (à 65 ans, après la mort de Julien de Médicis). Celui-ci, installé au manoir de Cloux près d'Amboise, et doté de 500 livres par an, n'est obligé à rien d'autre qu'à discuter avec le roi ; il s'est occupé de projets d'architecture (on discute encore de sa marque à Romorantin ou Chambord) et de fêtes et ne peindra rien en Farnce mais le roi acquiert après sa mort 8 ou 9 tableaux dont la Joconde. S'il ne réussit à faire venir ni Titien ni Michel Ange, il tourne la cour vers l'Italie, même si les peintres flamand sont aussi nombreux : le bruxellois Jean Clouet et le Flamand Josse Van Cleeve. Il faudra le sac de Rome pour que les artistes italiens viennent en France et s'y fixent, comme Rosso, l'élève de Jules Romain à Mantoue (1530) puis le bolonais Primatice (1532), Della Robbia, Serlio et Benvenuto Cellini (1541). Ils travaillent aussi pour d'autres mécènes : Rosso a dessiné une tapisserie pour le cardinal de Lorraine et peint une Pieta pour le connétable. Les artistes français se rendent aussi en Italie et d'autres étrangers comme Jean Clouet sont fort bien reçus. Son fils François deviendra à son tour peintre du roi en 1540. Recevoir une commande de la cour est une consécration pour un artiste provincial et les déplacements de la cour permettent à ces derniers d'émerger. Les épaves de comptes de dépense et d'états de l'Hôtel sont un véritable répertoire de poètes et d'artistes. Les uns et les autres, Marot en particulier, livrent des pièces de circonstance pour les mariage, anniversaires et paix, ils participent au montage des fêtes : Ronsard et Saint-Gelais furent les plus doués ici. Les courtisans vont suivre de plus en plus la mode de la cour dans les provinces entre les règnes de François Ier et d'Henri II.
Le roi est d'abord un collectionneur. La collection devient de plus en plus un élément de prestige aristocratique, aussi le roi de France se doit-il de présenter à ses courtisans la plus complète. Il achète mais reçoit aussi des cadeaux diplomatiques. Léon X lui envoie divers tableaux dont la Sainte famille de Raphael en 1518. Venise offrit une Visitation de Sebastiano del Piombo. Des objets comme un brûle parfums attibué à Raphael et soutenu par trois Grâces (connu en dessin seulement) ont eu une influence important sur le goût de l'époque. Parmi les curiosités, Soliman a offert au roi en 1530 une bête à sept têtes à peau de crocodile, le pape Clément VII offrit une corne de licorne enchâssée d'or. Mais le roi utilise aussi ses ambassadeurs (Du Bellay, Armagnac, Lazare de Baif qui devint ainsi l'ami de l'Arétin) comme argents artistiques, pour acheter des Antiquités et des manuscrits ; il fait aussi beaucoup copier les manuscrits précieux, c'est ainsi que Georges d'Armagnac, ambassadeur à Venise puis à Rome, utilisera les services de Christophe Auer, dont nous consultons encore les œuvres à la Bnf. Des italiens se chargent aussi des commandes aux artistes contemporains, comme Della Palla à Florence (en dépit de l'hostilité de Vasari qui craignait de voir Florence dépouillée de son patrimoine. Il enverra des peintures et des sculptures (l'Hercule de Michel-Ange, disparu au 18e s). Michel Ange aurait sculpté pour François Ier l'Esclave rebelle et l'esclave mourant, qui n'arriveront en France qu'en 1540. Il y avait aussi les dessins, les tapisseries et les objets précieux pour lesquels Cellini vint en France en 1537 et 1540 pour être durant cinq ans l'orfèvre du roi et le raconte dans ses mémoires.
Le roi s'est intéressé aux beaux livres et la bibliothèque du roi (on disait la librairie jusqu'à la fin du siècle), à Blois puis à Fontainebleau est dirigée par de très grands humanistes : Guillaume Budé, Jacques Lefèvre d'Étaples, Mellin de Saint-Gelais… Elle comptait 1626 livres en 1518 et 3650 titres en 1567, lorqu'elle est transportée à Paris en 1567. Il y avait assez peu d'imprimés, c'est pour cela, autant que pour surveiller la production que l'ordonnance de Montpellier (28 décembre 1537) organise le dépôt légal pour la première fois. (Mais en 1544, on n'a déposé que 109 titres alors que Paris publie 400 titres nouveaux par an). Cette collection, prestige oblige, est ouverte au public des érudits. Le roi donne le ton en matière typographique comme ailleurs, en payant Robert Estienne (imprimeur royal d'hébreu, de latin puis de grec) et c'est ainsi que Claude Garamond créa les " grecs du roi " qui est toujours utilisé à l'Imprimerie nationale.
Le roi dépense encore beaucoup d'argent pour la musique sous toutes ses formes, la chapelle (illustrée par Claude de Sermisy puis Clément Janequin) et l'hôtel du roi (par Alberto da Ripa) côutent plus de 10000 livres par an.

Le mécénat n'est pas simplement destiné aux plaisirs du roi et de son entourage mais à donner le ton en toute chose, en même temps qu'à en recueillir les fruits en matière de pouvoir politique. La pouvoir dépend en effet du prestige personnel du chef. A cause de Machiavel et de l'urbanité nécessaire du milieu princier, on a beaucoup glosé sur le prince de la Renaissance, en oubliant qu'il n'est qu'un avatar de la féodalité : la violence féodale pure avec la politesse et le raffinement en plus. CF M. Olmi, Le métier des armes.