Société &
Représentations
n°1
Revue du CREDHESS
ART SOUS DÉPENDANCE / ART UNDER INFLUENCE
Résumés | Abstracts |
ÉCRIVAINS TOXICOMANES EN ANGLETERRE, Max Milner Cest dans lAngleterre du début du XIXe siècle que linfluence de lusage des stupéfiants sur la création littéraire fut expérimentée pour la première fois. Cela sexplique par lampleur de la consommation dopium dans ce pays et par la tolérance qui entourait son utilisation. Cette influence se manifeste, chez Thomas De Quincey, par des modifications de limaginaire donnant à ses rêves une profondeur, une cohérence et une portée métaphysique incontestablement dues à lopium, malgré ses inconvénients. Mais ces qualités ne se révèlent, chez lui et chez dautres écrivains, que dans laprès coup, au prix dune élaboration esthétique indispensable. Seul le Kubla Khan de Coleridge paraît faire exception, sil est vrai quil fut rédigé sous linfluence directe de lopium. Mais on a les plus fortes raisons den douter. |
DRUG-ADDICTED WRITERS IN ENGLAND, Max Milner The influence of drugs consumption on literary creativity was first experienced in England, at the beginning of the 19th century. that may be accounted for by the extensiveness of opium use in that country, and by the allowance given to it. This influence, in Thomas De Quinceys work, rests on changes in imagination, which give his dreams a consistency and a metaphysical depth undoubtfully caused by opium, notwithstanding its drawbacks. But these qualities are to be found, in his work as well as in other writers works, only in the aftermath, at the cost of an essential aesthetic development. The sole exception seems to be Kubla Khan by Coleridge, were it true that it was written under the direct influence of opium. But we have serious reasons to doubt it. |
LES RUSES DE L'OPIUM, François Vergne Le lecteur qui aborde les oeuvres des écrivains
opiomanes ne peut éluder la question du statut de la drogue par
rapport au texte qui en dit les effets et en retranscrit les visions.
Lopium est-il la condition première dune création
littéraire dont il finirait, en ultime lecture, par entraver le
développement ? Ou bien contraint-il lécrivain à
trouver un équilibre, nécessairement périlleux, entre
onirisme et réflexion théorique ? |
OPIUM STRATEGIES, François Vergne The reader of literary works inspired by opium is confronted
with the question of the status of the drug in relation to the text which
recounts its effects and transcribes the visoins it provokes. |
LA LIGNE PREND CORPS, Mikhaïl Yamplsky La mescaline, de même que dautres drogues, change la voie de la perception visuelle en déplaçant la lecture de la figure vers le fond et en rendant les graphes linéaires. Ces modifications bouleversent la construction de lillusion de la réalité. Lauteur étudie ces métamorphoses de la perception visuelle, stimulées par les modificateurs de conscience, telles quelles apparaissent dans quelques textes classiques du XIXe siècle : les histoires policières dEdgar Poe et de Conan Doyle, le rêve de linjection dIrma, de Sigmund Freud. |
THE LINE TAKES FORM, Mikhaïl Yampolsky Mescaline, as well as some other drugs, affects visual perception by moving reading from a figure to a background and by providing all linear designs with an unusual depth. Thus the whole construction of the illusion of reality is affected. The author explores these changes in visual perception, related to drugs, in some classical texts of the 19th century : detective stories by Edgar Allan Poe and Conan Doyle, the dream of Irmas injection by Sigmund Freud. |
LE GRAND JEU : DROGUES ET LITTÉRATURE, Emmanuelle Retaillaud-Bajac En 1924, à Reims, de jeunes camarades de lycée fondent un groupe dinspiration surréaliste qui, à partir de 1927, débouchera sur la revue Le grand Jeu. René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte et leurs amis font précocement lexpérience de diverses drogues, tout dabord par curiosité intellectuelle et par volonté de rompre avec une terne existence provinciale, mais en inscrivant également leur recherche dans une véritable quête métaphysique. Les drogues leur permettent dexplorer certains états-limites de la conscience et de saventurer aux lisières de la mort. Roger Gilbert-Lecomte, lui, franchit le pas. Toxicomane incurable tout au long de sa vie, il trouve trouve dans les stupéfiants un palliatif à une douleur existentielle très profonde dont Monsieur Morphée, empoisonneur public, se fait lécho. Lexpérience tentée par les membres du Grand Jeu avec les psychotropes témoigne aussi du rôle essentiel de la drogue au sein dune certaine frange de lavant-garde littéraire et artistique au XXe siècle, à la fois comme signe extérieur dune existence différente et comme volonté réelle de tester les limites de la condition humaine. |
THE BIG GAME : DRUGS AND LITERATURE, Emmanuelle Retaillaud-Bajac In 1924, in Reims, a few young high-school friends founded a surrealism-inspired group that, in 1927, resulted in the creation of the paper Le Grand Jeu (The Big Game). René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte and their friends precociously participated into diverse drug experiments, at first out of intellectual curiousity and the need to break away from a dull provincial life, but also with genuine concern for metaphysical research. These drugs enabled them to explore certain border-line states of consciousness, and to reach the limits of death. Roger Gilbert-Lecomte overstepped those limits. An incurable addict all his life, he found in narcotics a palliative to a profound existential pain, which is expressed in Monsieur Morphée, empoisonneur public. The experience attempted by the members of Le Grand Jeu with these psycho-active drugs is also quite significant of the essential role drugs played in certain fringes of the literary and artistic avant-garde of the 20th century, both as an outward sign of a different way of life, and as a real determination to test the limits of the human condition. |
LE PINCEAU IVRE, Pierre Fraysse À partir de son expérience de thérapeute en atelier dexpression picturale, destiné préférentiellement aux malades alcooliques, lauteur sinterroge sur les correspondances éventuelles entre les oeuvres de peintres connus pour leur intempérance. Au-delà de toute considération esthétique ou normative, et sans a priori pathographique, lauteur dégage des traits communs, établissant un lien entre la sémiologie des pathologies addictives et les techniques picturales. Il insiste en particulier sur le court-circuitage émotionnel, véritable pont affectif entre lartiste et le spectateur. |
THE DRUNK PAINT-BRUSH, Pierre Fraysse Based upon his experience as a pictural expression therapist, dealing with alcoholics in particular, the author examines the possible similarities between the works of painters well known for their intemperance. Going beyond aesthetic or standardized consideration, and without pathographical prejudice, the author brings out common characteristics showing a link between the semiology of addictive pathologies and pictural techniques. He particularly emphasizes the emotional short-circuit, and the actual affective bridge between artist and spectator. |
ROCK ET ALCOOL, Patrick Mignon Le rock nest pas une culture homogène : cest un mélange de pratiques, de sens, de moments, de discours. Lalcool est connecté à lune des nombreuses représentations du rock, celles qui insistent sur la vie quotidienne, son aspect social, ses héros. Sous cet aspect, lalcool est lié aux racines principales du rock : le blues, le rythmnblues, les musiques folkloriques et de lOuest. Dans ce genre de musique, lalcool est un sujet majeur, à la fois dans les chansons et dans la vie des musiciens. Dans les années Soixante et Soixante-dix, quand les drogues permettaient datteindre des états modifiés de conscience, lalcool était la substance psychoactive de ceux qui étaient rebelles au message de la contre-culture, symbolisée par des groupes comme les Rolling Stones ou la musique rock du Sud. Cest aussi la cas des sous-cultures anglaises comme les Skinheads ou les Punks ou les styles de musique comme le pub-rock. De nos jours, lalcool est lié à la redécouverte du football, comme une partie authentique de la culture pop. |
ROCK AND ALCOHOL, Patrick Mignon Rock is not a unified culture : it is a mixture of practises,
meanings, periods of time, discourses. Alcohol is associated with one
of the numerous representations of rock, those which insist on everyday
life, its sociability, its heroism. In this respect, it is connected with
the main roots of rock : blues, rhythmnblues and country and
western music. In these musics, alcohol is an important topic in songs
lyrics as well as in musicianslives. |
JUSQUÀ PLUS SOIF : LE BOIRE COMME SYSTÈME DE REPRÉSENTATION, Véronique Nahoum-Grappe Dans cet article, lauteur pose la question dune pratique sociale particulière : les compétitions masculines à boire. Le point de vue disciplinaire est ici lanthropologie historique. En effet, à travers des sources disparates on peut repérer en Europe lextension de cette pratique depuis au moins la fin du Moyen-Âge. Il sagit dune épreuve identitaire où celui qui gagne est celui qui boit le plus et tien le mieux lalcool. |
UNTIL THE THIRST IS QUENCHED : DRINKING AS A SYSTEM OF REPRESENTATION, Véronique Nahoum-Grappe The author raises the question of a particular social practice : male drinking contests. Here, the topical point of view is historical anthropology : through diverse sources one can trace the spreading of this practice in Europe as long ago as the end of the Middle Ages. It is an identity test at the end of which the one who drinks the most and holds his liquor best is the winner. |
LES CRAYONS DE LA MORALE, Didier Nourrisson La caricature est apparue au XVIe siècle comme contrepoint du beau selon les canons de la Renaissance. Limage du buveur a été aussitôt récupérée comme formulation idéale de la difformité. Et depuis lors, lun des éléments du comique iconique, du tableau à la B.D. ou à la carte postale, emprunte régulièrement au trop boire. Le XIXe siècle voit une utilisation nouvelle de la pocharderie dans lart. Siècle dune alcoolisation grandissante, il fait jouer à lalcool un rôle important dans la satire des moeurs. Siècle de la démocratisation du vote, il recourt à la boisson et aux images de lalcool pour disqualifier ladversaire politique. Enfin, siècle de la remise en ordre des comportements déviants par le développement de lhygiénisme, il dénonce les pratiques alcooliques et stigmatise les buveurs, recourant pour cela aux meilleurs dessinateurs du temps. Le ridicule du comportement dalcoolisation, désormais qualifié dalcoolisme, est mis en valeur par la caricature et sert la cause -Ô combien morale- de lantialcoolisme. |
THE PENCILS OF ETHICS, Didier Nourrisson The caricature first appeared in the 16th century as a counterbalance to beauty, according to the Renaissance criteria. The image of the drunkard was quickly incorporated as the ideal image of difformity. Hence, the image of the drunkard has become a comic icon in art, comic books, or post-cards. The 19th century saw a new usage for the use of drunkardness in art. As the consumption of alcohol increased during that time, so did the importance of alcohol in the satire of social mores. That period saw the democratization of the right to vote, and political adversaries used images of alcohol to disqualify their opponents. And finally, the century that exemplified a call to order of deviating behaviour through the development of ideals of hygiene, denounced the use of alcohol and stigmatized drinkers, using to this end the best artists of the time. The ridicule of alcohol consumption, then made synonymous with alcoholism, was displayed in caricatures to serve the so morally correct cause of anti-alcoholism. |
IMAGES DE LA TOXICOMANIE DANS LA BANDE DESSINÉE, Christian Régnier Pour des raisons évidentes de moralité publique, la drogue a longtemps été absente de la bande dessinée. Tout au plus évoquait-on lopium pour ajouter une touche dexotisme au récit et dénoncer les puissants réseaux internationaux de trafiquants. À la fin des années Soixante, le courant underground venu des États-Unis donne naissance à une B.D. révolutionnaire, contestataire et militante. Avec leffondrement des tabous, tous les aspects de la toxicomanie font irruption dans les albums. La drogue devient alors une simple expérience. Aujourdhui, on ne plaisante plus avec la toxicomanie. La période nest plus à la dérision mais à la dramatisation. Les organismes de prévention ont souvent récupéré la B.D. pour sensibiliser les jeunes aux problèmes de la drogue mais aussi du Sida. |
IMAGES OF DRUG ADDICTION IN COMIC BOOKS, Christian Régnier For obvious reasons of public morality, drug abuse was for a long time absent from comic books. At the most, opium use was brinted at to give an exotic touch to a story and to denounce the strong ring of international drug traffickers. By the end of the 60s, the Underground movement coming from the United States, gave birth to a revolutionary comic, dobb challenging and militant. With taboos tumbling, all aspects of drug use errupted in the collections. Hence, drugs became a simple experience. Today, drug addiction is no laughing matter. This is not the time to scorn drug abuse, but to dramatize it. Organizations for the prevention of drug abuse often use comic books to sensitize their young readers to the problems of drug addiction and AIDS. |
LE SILENCE DES THÉÂTRES SUR LES DROGUES : AUTO-CENSURE OU CENSURE ? Odile Krakovitch Une seule pièce sur lopium. Quelques drames
sur des jeunes gens noyant leur ennui dans lalcool. Deux ou trois
mélodrames dénonçant le refuge au cabaret de louvrier
accablé de misère. Et cest tout jusquen 1879,
date de la représentation de lAssommoir. Pourquoi
un tel silence ? À cause de lauto-censure que sinfligèrent
les auteurs de 1830 à 1850 dans leur souci de présenter
au peuple une image de lui-même valorisante et pédagogique
; puis à cause de la censure que simposa le Second Empire,
dès avant le coup dÉtat, sur tous les thèmes
sociaux et socialisants. |
THE SILENCE OF THEATRES ABOUT DRUGS : SELF-CENSORSHIP OR CENSORSHIP ?, Odile Krakovitch One single theatre play, a few dramas about young people
drowning their boredom into alcohol, two or three melodramas denouncing
the refuge of pubs for factory workers overwelmed by misery. And thats
all until 1879, when LAssommoir by Zola was first performed
on stage. Why such silence ? Because of the self-censorship authors inflected
upon themselves from 1830 to 1850, in their concern to present the People
with a flattering and educational image ; then, because of the censorship
related to social themes, imposed by the Second Empire, before the coup. |
ALCOOL ET ILOTES, Thierry Lefebvre À travers lanalyse précise des Victimes de lalcoolisme, court film produit par la Compagnie générale de phonographes, cinématographes et appareils de précision (Pathé) en 1902, lauteur tente de mettre en évidence certaines représentations dominantes de lalcoolisme, et plus largement de lhygiène publique, au début du siècle. |
ALCOHOL AND THE HELOTES, Thierry Lefebvre Using a precise analysis of a short film produced in 1902 by the Compagnie Générale de phonographes, cinématographes et appareils de précision (Pathé), The Victims of alcoholism, the author tries to point out the most dominant representations of alcoholism, and more widely, of the public health system, at the beginning of the century. |
DROGUES IMAGINAIRES ET EXPÉRIENCE PSYCHÉDÉLIQUE DANS LA LITTÉRATURE DE SCIENCE-FICTION, Entretien dAnita Torres avec Roland Wagner Au cours dun entretien, un écrivain de science-fiction présente les réflexions issues de ses recherches sur les drogues imaginaires et linfluence du mouvement psychédélique dans la littérature conjecturale. Dans les années 1960-1970, la présence de la drogue dans cette littérature traduit linfluence du contexte idéologique : mouvement hippie, psychédélisme. Avec les années 80, elle sinscrit dans les univers urbains, violents et dominés par la technologie informatique des écrivains cyberpunks. Lauteur évoque également les drogues imaginaires de la science-fiction, prétextes à la présentation des fantasmes des écrivains ou à la multiplication des réalités. |
IMAGINARY DRUGS AND PSYCHEDELIC EXPERIENCE IN SCIENCE FICTION LITERATURE, an interview with Roland Wagner by Anita Torres During an interview, a science fiction novelist exposes reflections resulting from his research on psychedelic drugs and the psychedelic movement in associated literature. During the 1960s an 1970s, the mention of drug is significant of the ideological context : the hippy and psychedelic movements. With the 1980s, this literature ascribes to a urban universe, violent and dominated by the world of computer technology or cyberpunks. The author also evokes psychedelic experiences in Science Fiction literature as a pretext for the presentation of novelistsfantasies or of multiplied realities. |
LHISTORIEN ET LES SOURCES FILMIQUES, Annie Fourcaut et Danielle Tartakowsky, Anne Monjaret, Pierre Sorlin La journée détude organisée conjointement par le CHRMSS (centre de recherches de lUniversité Paris I) et de la Vidéothèque de Paris, sur le thème Autour du Paris ouvrier des années Trente et à partir de montages réalisés par les participants, a permis une réflexion sur lutilisation, par les historiens, de sources filmiques variées (fiction, documentaire, film militant, film de montage). Le film peut nêtre que la source complémentaire dune recherche effectuée à partir darchives écrites ; le film peut devenir la source exclusive et lobjet étudié est alors délimité en fonction dun corpus totalement filmique, homogène ou non. La lecture des sources filmiques autorise plusieurs méthodes : lecture positiviste comme si le film était un document darchive, analyse comme une oeuvre de fiction romanesque ou bien en tenant compte prioritairement des conditions techniques, politiques et financières de travail de léquipe réalisante. |
THE HISTORIAN AND CINEMATIC SOURCES, Annie Fourcaut, Danielle Tartakowsky, Anne Monjaret, Pierre Sorlin. The exhibition Around the Parisian working class of the 30s, organized both by CHRMSS (University Paris I) and the Vidéothèque de Paris, from editings achieved by the participants, provided a reflection about the use by historians of various cinematic sources (fiction, documentaries, militant movies, edited films). The moving picture can be only a complementary source of a research conducted from written records ; it can also be the exclusive source and the studied object is then framed according to a totally filmic corpus, homogeneous or not. The reading of cinematic sources allows different methods : a positivist reading as if the film was a historical document, an analysis of a piece of work as romance fiction, or a taking into account, prior to anything else, of the technical, political and financial conditions influencing the work of the film crew. |