En coédition avec le Centre de Recherche et d'Études en
Droit, Histoire, Économie, et Sociologie du Social (CREDHESS)
Longtemps, les rapports des artistes et des intellectuels au politique
ont été résumés sous le vocable d' "engagement"
- notion elle-même laissée dans le flou - et fréquemment
évalués d'un point de vue éthique. La sociologie
de l'art et des intellectuels a permis de renverser cette perspective,
en proposant d'étudier ces rapports à partir non plus des
sollicitations au sens large de l'univers politique mais des logiques
professionnelles des champs artistiques. Un certain nombre des articles
de ce numéro (consacrés à Beethoven, à l'importation
des concepts de "gauche" et de "droite" dans le champ
littéraire...) viennent prolonger et préciser ces perspectives
théoriques. De même d'autres - sur les critiques littéraires
en exil, sur la trajectoire d'une libraire communiste - analysent combien
il est difficile de "jouer" durablement dans les deux champs.
Enfin, comme le montrent les études consacrées aux inflexions
du néo-polar, au retour à une "littérature engagée"
dès l'Occupation, et au pacte littéraire des jeunes romanciers
français, les règles de l'art contribuent à peser
sur le "style" même des productions artistiques, y compris
de celles qui, ouvertement ou subrepticement, passent des messages politiques...
Les rapports des artistes et des politiques, et plus particulièrement
les tentatives d'instrumentalisation de l'art par les organisations partisanes
invitent également à s'intéresser à une autre
forme de rapports entre pôle temporel et monde artistique, c'est-à-dire
aux politiques publiques. Les articles sont ici plus particulièrement
consacrés à leurs origines (le projet d'un théâtre
populaire esquissé par Hugo en 1849, l'éphémère
Ministère des Arts de 1881-1882, la statuomanie de la IIIe République).
De même sont étudiés leurs effets les plus récents
- et souvent contradictoires - sur les productions et les producteurs
artistiques, analysés ici pour le domaine théâtral,
ainsi que pour les arts plastiques. Plus généralement ces
rapports conduisent à considérer les paradoxes des politiques
culturelles qui, confrontées au faible nombre de leurs consommateurs
et surtout à leur forte sélection sociale, ont dû
inventer des justifications visant à retrouver une "universalité
de la valeur culturelle", et ceux des avant-gardes qui séduisent
les bourgeois et non le peuple qu'elles entendent "convertir".
Les contraintes propres à chaque monde de l'art, leur sensibilité
différente notamment à la contrainte économique,
leur dépendance plus ou moins grande vis-à-vis du pôle
temporel et par conséquent leur recours plus ou moins fréquent
à une justification d'ordre civique, conduisent également
à s'interroger sur la rentabilité différentielle
des ressources politiques. Ainsi les réalisateurs communistes de
l'École des Buttes-Chaumont ont usé de celles-ci afin de
légitimer leur profession, consolider leur position et enfin se
voir reconnaître le statut d'auteur, tandis qu'Antoine Vitez a mobilisé
ses réseaux au sein du PCF mais surtout transposé les règles
de codage et de décodage du monde et de la langue communistes pour
conférer au métier de metteur en scène une pleine
légitimité artistique. Parfois, c'est même une circulation
- y compris des schèmes de pensée - incessante entre univers
politique et univers artistique qui caractérise les avant-gardes
esthétiques comme ici les musiciens de jazz. Enfin, comme le montrent
l'étude des artistes affiliés à La Ligue du Nord
ou celle des écrivains "sans uvre" de Mai 68, ce
sont parfois uniquement des bénéfices d'ordre identitaire,
la tentative de dépersonnaliser la souffrance littéraire,
et plus généralement une manière de résoudre
les incertitudes quant à leur statut et à la "valeur"
de leurs productions qui président à l'entrée en
politique des artistes.
Numéro conçu par Benoît Lambert
et Frédérique Matonti
Cordonné par Frédérique Matonti
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